La pauvreté
CHAPITRE 25
A LA LOUANGE DE LA PAUVRETÉ.
- Durant son séjour en notre vallée de larmes, le bienheureux Père traita par le mépris les pauvres richesses[1] partagées entre les fils des hommes ; il avait placé plus haut ses ambitions : c’est vers la pauvreté que tendaient toutes les aspirations de son coeur. Constatant que celle qui avait été la compagne habituelle du Fils de Dieu était devenue l’objet d’une répulsion universelle, il eut à coeur de la prendre pour épouse et lui voua un amour éternel. Epris de la beauté de cette épouse, il voulut s’unir étroitement à elle, ne plus faire qu’un esprit avec elle, et pour cela non content de quitter son père et sa mère, il interdit à quelque objet que ce fût l’accès de son âme[2]. Il l’étreignit alors et ne voulut jamais cesser, même pour une heure, d’être son fidèle époux[3]. « Elle est, enseignait-il à ses fils, le chemin conduisant à la perfection, elle est un gage vous assurant les éternelles richesses. »
Jamais on ne vit un homme plus avare de son or que lui de sa pauvreté ; personne jamais ne surveilla son trésor avec plus de soin qu’il n’en mit à garder cette perle dont parle l’Evangile. Rien ne blessait son regard comme de rencontrer chez ses frères, soit au couvent, soit sur les chemins, une attitude contraire à la pauvreté. Lui-même n’eut pour toute richesse, du début de sa vie religieuse à sa mort, qu’une seule tunique, une petite corde, des caleçons et rien de plus[4]. Son habit pauvre disait éloquemment qu’il avait accumulé ses richesses ailleurs que sur terre. Voilà pourquoi il était joyeux, voilà pourquoi il avait l’âme en paix, voilà pourquoi il marchait vers Dieu si allègrement, tout heureux d’avoir échangé à cent pour un des trésors destinés à périr.
[1] Opes inopes, nouvel exemple d’antithèse confinant au calembour.
[2] Submovit : se dit, au propre, du cordon de licteurs chargé d’écarter la foule, de ranger les badauds, sur le passage des consuls, ou encore de monter la garde devant une résidence.
[3] Tout ce développement est sans doute inspiré (de même que le magnifique chant XI du Paradis de Dante) par le Sacrum Commercium.
[4] Réminiscence du Testament de saint François, v. 16.