VITA SECUNDA 69

CHAPITRE 39

DE LA PAUVRETÉ DES VÊTEMENTS

  1. Revêtue de la puissance d’En-Haut, son âme en tirait bien plus de chaleur divine que tous les vêtements n’en pouvaient communiquer extérieurement à son corps. Il avait en horreur les frères porteurs de trois habits ou ceux qui, sans nécessité, s’habillaient d’étoffes moelleuses. Consulter les sens et non la raison pour déterminer ce dont on a besoin, c’était pour lui le signe qu’on avait « éteint l’Esprit »[1] : « Quand une âme est tiède et perd progressivement la chaleur de la grâce, il est fatal que la chair et le sang réclament leur satisfaction. Si l’âme ne trouve pas son bonheur, il ne reste plus à la chair qu’à rechercher le sien ; c’est alors qu’on parle de nécessité à propos d’instincts purement bestiaux, et que les tendances de la chair s’imposent à la conscience comme des valeurs. Supposons un frère dans une réelle nécessité ; s’il met trop d’empressement à vouloir en sortir, quelle récompense a-t-il méritée ? Il avait une occasion de mérite, mais il a clairement démontré qu’elle n’était pas de son goût. Ne pas supporter la morsure de l’incommodité, c’est vouloir retourner en terre d’Egypte[2]. » Il perçait ainsi de ses traits les frères qui s’évertuaient à fuir l’inconfort.

En aucun cas il ne permettait aux frères plus de deux habits ; ceux-ci pouvaient cependant être garnis de pièces[3]. Il ordonnait de répudier avec mépris les étoffes précieuses et lançait en public de mordants reproches à ceux qui enfreignaient ses défenses. Pour leur donner la réplique par son exemple, il avait, sur sa tunique, cousu un sac grossier ; au moment de sa mort, il demanda aussi que l’on couvrît d’un sac la tunique dans laquelle il allait être enseveli.

Pourtant, quand le besoin s’en faisait vraiment sentir ou quand la maladie s’appesantissait, il permettait aux frères de porter une tunique plus douce sur la peau, mais en ayant soin de conserver par-dessus un habit vulgaire et grossier. « L’austérité, disait-il, se relâchera, la tiédeur se propagera, et les fils d’un Père qui fut pauvre n’auront aucun scrupule à s’habiller de soie, après en avoir hypocritement changé la couleur. »

Sur ce point, nous ne t’avons pas fait mentir, ô Père dont nous sommes des fils dégénérés ; c’est plutôt notre lâcheté qui voudrait se faire illusion[4] ; or, elle est de jour en jour plus évidente et va toujours croissant.

Table des chapitres

 

[1] 1 Th 5 19.

[2] Allusion au ch. XI du Livre des Nombres, où les Hébreux regrettent les oignons d’Égypte et veulent regagner ce qui fut pour eux une terre à la fois de plaisir et d’esclavage.

[3] Mais non pas de fourrure. Cf. 1 Reg 14 ; 1 C 130 ; LP 54.

[4] Littéralement: se mentir à elle-même. Le texte cite Ps 26 12, dans la version difficilement compréhensible de la Vulgate ; et mentita est iniquitas sibi.

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