LÉGENDE DE PÉROUSE 44

LA STROPHE DU PARDON

  1. A l’époque où il était bien malade – les « Louanges » étaient déjà composées – l’évêque d’Assise excommunia le podestat. En représailles, celui-ci fit annoncer à son de trompe, dans les rues de la cité, l’interdiction à tout citoyen d’acheter ou de vendre quoi que ce fût à l’évêque, et de traiter avec lui. Entre eux régnait une haine farouche. Le bienheureux François, alors bien malade, eut pitié d’eux. Il souffrait de voir que personne, religieux ni laïc, ne s’entremît pour rétablir entre eux la paix et la concorde. Et il dit à ses compagnons : « C’est une grande honte pour nous, les serviteurs de Dieu[1], qu’il ne se trouve personne, quand le podestat et l’évêque se haïssent ainsi, pour rétablir entre eux la paix et la concorde ! » Et pour la circonstance il ajouta cette strophe à son cantique :

Loué sois-tu, mon Seigneur,

pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ;

pour ceux qui supportent épreuves et maladies :

Heureux s’ils conservent la paix,

car par toi, Très-Haut, ils seront couronnés !

Puis il appela un de ses compagnons et lui dit : « Va trouver le podestat et dis-lui de ma part qu’il se rende à l’évêché avec les notables de la commune et tous ceux qu’il pourra rassembler. » Et quand le frère fut parti, il dit aux autres : « Allez, et en présence de l’évêque, du podestat et de toute l’assemblée, vous chanterez le Cantique de frère Soleil. J’ai confiance que le Seigneur mettra dans leur cœur l’humilité et la paix et qu’ils reviendront à leur ancienne amitié et affection. »

Quand tout le monde fut réuni sur la place du cloître de l’évêché, les deux frères se levèrent, et l’un d’eux prit la parole : « Le bienheureux François, dit-il, a composé malgré ses souffrances les « Louanges du Seigneur » pour toutes ses créatures, à la louange de Dieu et pour l’édification du prochain; et il vous demande d’écouter avec une grande dévotion. »

Et ils se mirent à chanter. Le podestat se leva et joignit les mains, comme pour l’Evangile du Seigneur, et il écouta dans un grand recueillement et avec attention ; bientôt des larmes coulèrent de ses yeux, car il avait pour le bienheureux François beaucoup de confiance et de dévotion. A la fin du cantique, le podestat s’écria devant toute l’assemblée : « En vérité je vous le dis, non seulement je pardonne au seigneur évêque que je dois reconnaître pour mon maître, mais je pardonnerais même au meurtrier de mon frère ou de mon fils ! » Puis il se jeta aux pieds du seigneur évêque en lui disant : « Pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus Christ et du bienheureux François, son serviteur, je suis prêt à vous donner toute satisfaction qu’il vous plaira. » L’évêque le releva et lui dit : « Ma charge exigerait chez moi l’humilité, mais j’ai un caractère prompt à la colère ; il faut me pardonner ! » Et tous deux, avec beaucoup de tendresse et d’affection, s’étreignirent et s’embrassèrent.

Les frères furent dans l’admiration de voir que la sainteté du bienheureux François avait réalisé à la lettre ce qu’il avait dit de la paix et de la concorde à ramener entre ces deux personnages. Tous les témoins de la scène attribuèrent à un miracle dû aux mérites du saint la grâce si promptement accordée aux deux adversaires, qui, sans se souvenir d’aucune parole blessante, revinrent après un très grand scandale à une très grande concorde. Nous qui avons vécu avec le bienheureux François, nous attestons que, s’il disait : « Telle chose se passe, ou : se passera », sa parole s’accomplissait à la lettre. Nous en avons vu de nos yeux maints exemples qu’il serait trop long d’écrire ou de raconter[2].

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[1] Tournure de phrase habituelle à saint François. Cf. par ex. Adm 6 3.

[2] Même affirmation déjà plus haut : fin du § 25.

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