VITA SECUNDA 82

CHAPITRE 50

UNE VISION CONCERNANT LA PAUVRETÉ.

  1. Voici une vision du saint qui vaut la peine d’être rapportée. Une nuit, à la fin d’une longue oraison, il s’assoupit lentement et s’endormit. Or sa sainte âme, introduite dans le sanctuaire de Dieu, vit en songe une femme à la tête d’or, à la poitrine et aux bras d’argent, au ventre de cristal et aux jambes de fer ; elle était de grande taille, élancée, de formes harmonieuses, mais un manteau sordide recouvrait cette beauté. Le bienheureux Père en donna la description le lendemain matin, au saint frère Pacifique, mais il ne lui en révéla point le sens.

 Beaucoup l’ont interprétée à leur fantaisie, mais je crois que l’on peut accepter sans risque d’erreur l’interprétation qui fut suggérée sur-le-champ par le Saint-Esprit au même frère Pacifique. Cette dame de grande beauté, c’est l’âme si belle de saint François ; la tête d’or, sa contemplation et sa connaissance des vérités éternelles ; la poitrine et les bras d’argent, les paroles du Seigneur qu’il méditait dans son coeur et faisait passer dans ses actes ; le cristal inattaquable et transparent, sa tempérance et sa chasteté ; le fer, sa persévérance tenace ; le manteau sordide enfin, c’est le pauvre et misérable corps dont fut revêtue son âme très précieuse.

 D’autres, assistés eux aussi de l’Esprit de Dieu, ont voulu voir dans cette dame l’épouse de notre Père François, la Pauvreté : l’or, disent-ils, représente la gloire qui sera sa récompense ; l’argent, les éloges que lui décerne la renommée ; le cristal, sa pratique intègre, sans plus de richesses cachées[1] qu’apparentes ; le fer, la persévérance finale. Le manteau sordide, c’est le mépris dont la couvrent les hommes charnels.

 La plupart enfin, appliquent à l’Ordre lui-même cette vision et calculent à la façon de Daniel ses destinées successives[2]. Mais le fait que le saint a refusé d’en dévoiler le sens – il se défiait de l’orgueil – montre bien qu’elle se rapporte à lui ; si elle avait concerné son Ordre, il n’aurait pas gardé le silence[3].

Table des chapitres

 

[1] Cf. Loculi. 2 C 80.

[2] Cf. Dn 2 31. Dante a repris l’allégorie dans l’épisode du Vieillard de Crète (Enfer, XIV, 94-120).

[3] On trouve différentes rédactions de ce même épisode, et différentes interprétations de la vision dans le courant biographique d’inspiration dite léonienne (Cf. Actus, ch. 25). Wadding a recueilli et commenté l’un de ces textes (Annales, ad an. 1220, n. 21). Cf. aussi Sabatier, Legendae veteris fragmenta quaedam, dans Op. Crit. Hist., 1903, p. 92-102.

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