VITA SECUNDA 78-79

CHAPITRE 48

UNE CUISSE DE POULET CHANGÉE EN POISSON A ALEXANDRIE.

  1. La quête était pour François l’occasion de sauver des âmes plus encore que de trouver sa nourriture, et il voulait être un modèle pour les autres dans la manière de donner comme de recevoir.

Il était allé prêcher la parole de Dieu à Alexandrie, en Lombardie ; son hôte, un homme pieux, d’excellente réputation, le pria de bien vouloir manger, selon le saint Evangile, de tout ce qu’on lui servirait[1]. Vaincu par les instances de son hôte, le bienheureux s’y prêta volontiers, et notre homme tout joyeux courut apprêter avec raffinement un gros chapon dodu[2] pour l’homme de Dieu. Celui-ci prit place à table parmi la famille en fête. Soudain parut à la porte un fils de Bélial simulant la pauvreté mais auquel ne manquait en réalité que la grâce. Ce roué demanda l’aumône « pour l’amour de Dieu » et, des larmes dans la voix, supplia que pour Dieu on voulût bien lui venir en aide. A ce Nom béni entre tous et pour lui plus doux que le miel, le saint n’écouta que son bon coeur, préleva sur le poulet qu’on venait de servir une cuisse qu’il remit au mendiant sur une tranche de pain. Or ce vaurien conserva le tout : il voulait s’en servir pour discréditer le saint.

  1. Celui-ci, le lendemain, prêcha au peuple la parole de Dieu, comme il faisait d’ordinaire. Soudain le triste individu se met à hurler en brandissant la cuisse du poulet : « Sachez quel est ce François qui prêche ici et que vous vénérez comme un saint : voilà le genre de viande qu’il mange et qu’il m’a donnée hier soir ! » Tout l’auditoire houspilla le coquin et le traita de possédé du démon : en effet, aux yeux de tous, c’était un poisson qu’il tenait, au lieu de la cuisse de poulet qu’il avait annoncée. Le misérable fut lui-même accablé de stupeur devant le miracle et contraint de reconnaître qu’ils avaient bien raison[3]. Il eut honte de lui-même et expia par la pénitence la faute dont il s’était rendu coupable. Il avoua au saint quels avaient été ses projets diaboliques, et lui en demanda pardon publiquement. – La chair de poulet retrouva son aspect réel quand le pécheur eut retrouvé lui aussi son âme d’autrefois.

Table des chapitres

 

[1] Lc 10 8, texte consigné au ch. 3 de la Règle.

[2] Septennem. Pourquoi cette précision ? Ou bien le chapon a 7 ans (sens classique), et il faut se rappeler qu’on croyait trouver certaine pierre précieuse dans le gésier des chapons de 7 ans accomplis (Philippe de Thaon, éd. L. Pannier, les Lapidaires français du m. â., Paris 1882) ; – ou bien septennem doit se traduire : de 7 mois accomplis, et le proverbe dit :

Chapon de huict mois, manger de rois. (Le Roux de Lincy, Le Livre des proverbes français, Paris 1842, t. 1, p. 155).

[3] De le traiter de possédé, ou bien de croire à la sainteté de François ? Le texte latin ne permet pas de préciser.

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