CHAPITRE 17
COMMENT SA PRIÈRE FIT JAILLIR DU ROCHER UNE EAU QUI RAFRAICHIT UN PAYSAN ALTÉRÉ.
- Le bienheureux François voulut un jour se retirer dans un ermitage[1] pour s’y adonner plus librement à la contemplation. Comme il était à bout de forces, il emprunta l’âne d’un pauvre homme pour la route. On était alors en été ; le paysan, qui gravissait à pied la montagne à la suite de l’homme de Dieu, parlait d’abandonner avant d’arriver au couvent : il n’en pouvait plus de fatigue à cause de ce chemin long et accidenté, et il mourait de soif. Il se met à crier avec véhémence à l’adresse du saint, il le supplie d’avoir pitié de lui et déclare qu’il va mourir si on ne lui donne rien à boire pour le réconforter. Comme toujours, plein de pitié pour les affligés, l’homme de Dieu n’attend pas davantage et descend de son âne ; il se met à genoux, lève les mains vers le ciel et ne s’arrête pas de prier qu’il ne se sente exaucé. Il s’adresse alors au paysan : « Cours : tu trouveras là-bas une source que le Christ, dans sa bonté, vient de faire jaillir du rocher afin que tu puisses boire. »
Stupéfiante condescendance de Dieu[2] qui se laisse si volontiers fléchir par ses serviteurs ! Un paysan peut boire d’une eau que la vertu d’un homme en prière a fait jaillir ; c’est une roche compacte qui lui fournit de quoi se désaltérer ! Il n’y avait auparavant pas un filet d’eau en cet endroit, et l’on eut beau chercher, on n’en put découvrir aucune trace par la suite. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un homme rempli du Saint-Esprit accomplisse à son tour les miracles qu’opèrent tous les justes ; rien d’extraordinaire à ce qu’un homme uni au Christ par une grâce spéciale opère les mêmes prodiges que tous les autres saints[3].
[1] Celui de l’Alverne, d’après Barthélémy de Pise (AF IV, p. 38).
[2] Stupenda dignatio. L’expression sera reprise par saint Bonaventure dans le récit du même miracle (LM 7 12). Coïncidence plus étrange : elle est utilisée par saint François lui-même, à propos de l’Eucharistie, dans sa Lettre à tout l’Ordre (3 Let. 27).
[3] Par exemple : Moïse (Ex 17 6 ; Nb 20 10) et saint Benoît (Dialogues de saint Grégoire, 11, 5).