CHAPITRE 75
LA CONVERSION DE CE MÊME FRÈRE SYLVESTRE, VISION DONT IL FUT FAVORISÉ.
109. Il ne sera pas sans intérêt, je crois, de rapporter ici la conversion de frère Sylvestre et son entrée dans l’Ordre sous la motion de l’Esprit. Prêtre séculier de la ville d’Assise, il avait vendu jadis des moellons à l’homme de Dieu pour la réparation d’une église ; mais le jour où frère Bernard, premier surgeon de l’Ordre des Mineurs après le saint, abandonna tous ses biens pour les donner aux pauvres, il s’approcha de l’homme de Dieu, l’âme rongée d’avarice, et lui chercha querelle pour n’avoir pas reçu exactement le prix des moellons qu’il lui avait vendus. A voir l’âme d’un prêtre ainsi infectée par l’avarice, François eut un sourire de pitié ; mais pour apaiser cette maudite soif de l’or, il lui mit, sans compter, des écus plein les mains. Tout heureux de l’aubaine, mais frappé de cette générosité, Sylvestre rentra chez lui ; cet incident le travaillait, il s’adressa de bienheureuses remontrances : à son âge1, aimer le monde, alors que ce jeune homme témoignait d’un si admirable détachement !
Après avoir ainsi respiré la « bonne odeur du Christ2 », il put bénéficier davantage encore de sa miséricorde : le Christ lui exposa dans une vision quelle valeur possédait l’oeuvre de François, quelle efficacité, quelle splendide extension. Il vit en songe, plantée dans la bouche de François, une croix d’or dont le sommet touchait le ciel et dont les bras étendus faisaient le tour du monde. Pénétré de contrition à cette vue, le prêtre qui n’avait que trop tardé ne tergiversa plus et devint un parfait imitateur de l’homme de Dieu. La vie de perfection qu’il mena dans l’Ordre fut, par la grâce du Christ, couronnée par une mort plus parfaite encore3.
Ne nous étonnons pas si François apparut ainsi crucifié, lui pour qui la croix fut toujours source de tant de grâces. Elle était enracinée en lui profondément : quoi d’étonnant si cette bonne terre produisit des fleurs, des feuilles et des fruits4.
Elle ne pouvait que fructifier ainsi, cette croix, reine d’un sol qu’elle avait à elle seule dès le début occupé tout entier.
Mais revenons maintenant à notre sujet.
1 Senescentem: il commençait à vieillir.
2 C’est-à-dire le bon exemple donné par frère Bernard, Cf. 2 Co 2 15.
3 En 1246, donc peu de temps avant la rédaction de cette Légende. Cf. 3 C 3.
4 Réminiscence de la Liturgie de l’adoration de la Croix, le Vendredi-Saint : Nulla silva talem profert Flore, fronde, germine.