Cette lettre à un ministre – c’est-à-dire à un supérieur de l’Ordre – est un petit chef-d’œuvre de bonté et de réalisme à la fois. Elle est consacrée au problème des frères égarés. La première partie relève plutôt de la direction spirituelle : attitude intérieure d’un supérieur à l’égard des rebelles. La seconde partie serait plutôt une sorte de rescrit juridique en réponse à une consultation sur un point de la Règle.
L’attitude à tenir envers les frères qui ont péché est caractéristique du Père qui croit toujours à la puissance de l’amour sur le cœur de ses enfants. François avait pourtant déclaré qu’il refusait de considérer comme ses frères ceux qui se révoltent contre l’Église (Lettre à tout l’Ordre, verset 44). Il recommande ici de ne jamais laisser partir sans un mot de bonté un frère qui nous aurait offensé personnellement.
1 Au frère …, ministre : que le Seigneur te bénisse !
2 Je vais t’expliquer comme je le puis ton cas de conscience. Des soucis ou des gens – frères et autres personnes – t’empêchent d’aimer le Seigneur Dieu ? Eh bien ! même si, en plus, ils allaient jusqu’à te battre, tu devrais tenir tout cela pour une grâce. 3Tu dois vouloir ta situation telle qu’elle est, et non pas la vouloir différente. 4 Considère cela comme une vraie charge ou « obédience » que le Seigneur Dieu et moi nous t’imposons, car telle est, j’en suis certain, l’obéissance véritable. 5 Aime ceux qui te causent ces ennuis. 6 N’exige pas d’eux, sauf si le Seigneur t’indique le contraire, un changement d’attitude à ton égard. 7 C’est tels qu’ils sont que tu dois les aimer, sans même vouloir qu’ils soient (à ton égard) meilleurs chrétiens. 8Cela sera pour toi plus méritoire que la vie en ermitage.
9 Voici à quoi je reconnaîtrai que tu aimes le Seigneur, et que tu m’aimes, moi, son serviteur et le tien : si n’importe quel frère au monde, après avoir péché autant qu’il est possible de pécher, peut rencontrer ton regard, demander ton pardon, et te quitter pardonné. 10 S’il ne demande pas pardon, demande-lui, toi, s’il veut être pardonné. 11 Et même si après cela il péchait encore mille fois contre toi, aime-le plus encore que tu m’aimes, et cela pour l’amener au Seigneur. Aie toujours pitié de ces malheureux. 12 Et quand l’occasion s’en présentera, fais savoir aux gardiens ta ferme résolution d’agir ainsi.
13 De tous les articles de la Règle qui traitent des péchés mortels, nous en ferons un seul, lors du chapitre de la Pentecôte avec l’aide de Dieu et après avoir pris conseil des frères ; article ainsi conçu :
14 Si un frère, à l’instigation de l’ennemi, commet un péché mortel, il sera tenu par obéissance de recourir à son gardien. 15 Les frères qui connaîtraient sa faute ne lui feront ni affront ni reproche ; ils lui témoigneront au contraire beaucoup de bonté et tiendront soigneusement caché le péché de leur frère : car ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades . 16 Ils seront tenus par obéissance de l’envoyer, accompagné, au custode. 17 Et le custode agira envers lui avec autant de bonté qu’il en souhaiterait pour lui s’il était en un cas semblable. 18 Si un frère tombe en quelque péché véniel, il se confessera à l’un de ses frères prêtres. 19 S’il n’y a pas de prêtre, il se confessera à son frère, en attendant qu’il trouve un prêtre pour l’absoudre canoniquement comme il a été dit. 20Les frères ne pourront enjoindre d’autre pénitence que ceci : Va, et ne pèche plus ! »
21 Pour qu’on l’observe mieux, conserve avec toi cet écrit jusqu’au chapitre de la Pentecôte : tu y seras d’ailleurs avec tes frères. 22Sur ce point, et sur les autres qui sont moins détaillés dans la Règle, tu feras ajouter avec l’aide du Seigneur Dieu, les précisions nécessaires.
Traduction Damien Vorreux 1996
Les Éditions Franciscaines de Paris autorisent l’École Franciscaine de Paris à reproduire intégralement les Écrits de François et de Claire, moyennant le rappel du Copyright. |
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Copyright : Éditions Franciscaines, Paris, Les Écrits de S. François et de Ste Claire (1996) |
Texte original en latin
EPISTOLA AD MINISTRUM (EPMIN)
Fratri N ministro: Dominus te benedicat (cfr. Num 6, 24a). Dico tibi, sicut possum, de facto animae tuae, quod ea quae te impediunt amare Dominum Deum, et quicumque tibi impedimentum fecerit sive fratres sive alii, etiam si te verberarent, omnia debes habere pro gratia. Et ita velis et non aliud. Et hoc sit tibi per veram obedientiam Domini Dei et meam, quia firmiter scio, quod ista est vera obedientia. Et dilige eos qui ista faciunt tibi. Et non velis aliud de eis, nisi quantum Dominus dederit tibi. Et in hoc dilige eos; et non velis quod sint meliores christiani. Et istud sit tibi plus quam eremitorium. Et in hoc volo cognoscere, si tu diligis Dominum et me servum suum et tuum, si feceris istud, scilicet quod non sit aliquis frater in mundo, qui peccaverit, quantumcumque potuerit peccare, quod, postquam viderit oculos tuos, numquam recedat sine misericordia tua, si quaerit misericordiam. Et si non quaereret misericordiam, tu quaeras ab eo, si vult misericordiam. Et si millies postea coram oculis tuis peccaret, dilige eum plus quam me ad hoc, ut trahas eum ad Dominum; et semper miserearis talibus. Et istud denunties guardianis, quando poteris, quod per te ita firmus es facere.
De omnibus autem capitulis, quae sunt in regula, quae loquuntur de mortalibus peccatis, Domino adiuvante in capitulo Pentecostes cum consilio fratrum faciemus istud tale capitulum: Si quis fratrum instigante inimico mortaliter peccaverit, per obedientiam teneatur recurrere ad guardianum suum. Et omnes fratres, qui scirent eum peccasse, non faciant ei verecundiam neque detractionem, sed magnam misericordiam habeant circa ipsum et teneant multum privatum peccatum fratris sui; quia non est opus sanis medzcus, sed male habentibus (Mt 9, 12). Similiter per obedientiam teneantur eum mittere custodi suo cum socio. Et ipse custos misericorditer provideat ei, sicut ipse vellet provideri sibi, si in consimili casu esset (cfr. Mt 7, 12). Et si in alio peccato veniali ceciderit, confiteatur fratri suo sacerdoti. Et si non fuerit ibi sacerdos, confiteatur fratri suo, donec habebit sacerdotem, qui eum absolvat canonice, sicut dictum est. Et isti penitus non habeant potestatem iniungendi aliam poenitentiam nisi istam: Vade et noli amplius peccare (cfr. Joa 8, 11).
Hoc scriptum, ut melius debeat observari, habeas tecum usque ad Pentecosten; ibi eris cum fratribus tuis. Et ista et omnia alia, quae minus sunt in regula, Domino Deo adiuvante, procurabitis adimplere .