LÉGENDE DE PÉROUSE 24

L’ANGE A LA CITHARE

  1. A l’époque où le bienheureux François demeurait à Rieti, il occupa pendant quelques jours une chambre chez Tabald le Sarrasin[1]; il y subissait alors sa cure pour les yeux. Il dit un jour à l’un de ses compagnons qui avait appris la cithare lorsqu’il était dans le monde : « Frère, les fils de ce siècle[2] ne comprennent rien aux choses de Dieu. Autrefois, les instruments de musique, cithares, psaltérions, et autres, servaient aux saints pour la louange de Dieu et la consolation de leur âme[3] ; maintenant ils servent à la vanité et au péché, contrairement à la volonté du Seigneur[4]. Je voudrais donc que tu te procures en secret, chez un homme honorable, une cithare sur laquelle tu me jouerais de la belle musique ; nous y mettrions ensuite des paroles et les « Louanges du Seigneur[5]». Mon corps est affligé de bien lourdes souffrances ; je voudrais par ce moyen changer même la douleur physique en joie et en consolation spirituelle. » Il faut dire que, pendant sa maladie, le bienheureux François avait composé des « Louanges du Seigneur ». Parfois il les faisait chanter à ses frères pour la gloire de Dieu, la consolation de son âme et l’édification du prochain. Le frère lui répondit : « Père, j’aurais honte d’aller me procurer cet instrument : les habitants de cette ville savent que lorsque j’étais laïc j’ai appris la cithare[6], et je crains qu’ils s’imaginent que je suis tenté d’en jouer de nouveau. » – « Eh bien ! frère, dit le saint, n’en parlons plus. »            La nuit suivante, vers minuit, ne dormant pas, il entendit prés de la maison qu’il habitait, une cithare dont le chant était le plus exquis et le plus doux qu’il eût ouï de sa vie. Le musicien s’éloignait, sans qu’on cessât de l’entendre, puis il revenait, jouant sans désemparer pendant une bonne heure. Le bienheureux François, considérant que la main de Dieu, là, et non celle de l’homme, était à l’œuvre, fut empli d’une joie extrême. Dans l’allégresse de son cœur il loua avec élan le Seigneur qui avait daigné lui accorder une si grande et si rare consolation. Le matin, au lever, il dit à son compagnon : « Frère, je t’ai prié et tu ne m’as pas exaucé, mais le Seigneur qui console ses amis dans leurs tribulations[7] a daigné cette nuit me consoler. » Et il lui raconta ce qui s’était passé. Les frères furent dans l’admiration, considérant que c’était là un grand miracle. Ils étaient certains que Dieu lui-même était intervenu pour la consolation du bienheureux François, car, par décret du podestat, personne n’avait le droit de circuler en ville non seulement en pleine nuit, mais même dés la troisième sonnerie de cloches. D’ailleurs, comme le déclara le saint, c’était dans le silence, sans paroles ni bruit de voix, que la cithare allait et venait durant une grande heure, pour la consolation de son âme.

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[1] Qui était peut-être médecin et de lointaine origine arabe ; mais c’était un chanoine de Rieti, et il habitait probablement le palais épiscopal : cf. Fortini, Nuova Vita, 1 b, pp. 304-306.

[2] Cf. Lc 16 8.

[3] Pour la louange de Dieu : PS 150 ; pour la consolation et la paix de l’âme : 1S 16 23.

[4] C’était là un thème courant de la prédication ef même de l’iconographie. Voyez, à Vézelay, le chapiteau dit de « la musique Profane ».

[5] S’agit-il des « Laudes Dei » pour frère Léon, ou bien des « Laudes Domini » qui suivent le Pater, ou bien, plus probablement, du Cantique des Créatures (cf. plus bas n° 43). SP 121 dit que, durant ses deux dernières années, il se faisait souvent chanter ces « Louanges du Seigneur » au grand scandale de frère Elie.

[6] Ce qui ne veut pas dire obligatoirement que ce frère musicien était natif de Rieti. La renommée de frère Pacifique était assez étendue pour avoir atteint cette ville. Le fait que ce paragraphe suit l’épisode de la vision du trône donnerait à penser qu’il s’agit bien du « Roi des poètes ». (Le P. Cambell détache ce § et le transporte au § 85.)

[7] 2 Co 1 4.

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