LETTRES A AGNÈS DE PRAGUE

La destinataire de ces lettres , Agnès de Prague, était fille du roi de Bohême, Ottokar I, et de Constance de Hongrie. Née en 1205, plusieurs fois fiancée dès l’enfance, elle repoussa ensuite les demandes en mariage du roi d’Angleterre et de l’empereur d’Allemagne. En 1232, les premiers franciscains vinrent s’établir à Prague. Agnès leur construisit une Église, puis fonda un hôpital et y adjoignit en 1233 un couvent où elle entra elle-même l’année suivante.

Sa correspondance avec sainte Claire dut être assez abondante. Nous n’en possédons malheureusement que quatre lettres, quatre réponses venues de Saint-Damien et révélatrices de l’âme de Claire. Ce sont de précieux témoignages à la fois de spiritualité et d’amitié, de délicatesse et de force dans les sentiments. On y remarque aussi une maîtrise de plume et une culture admirables chez une femme de cette époque, une connaissance de la Bible et une lucidité dans les conseils pour la vie religieuse, qui font de ces lettres de direction des chefs- d’œuvre du genre.

La première lettre dut être envoyée peu avant l’entrée d’Agnès au monastère (donc avant la Pentecôte 1234) ; Claire l’appelle encore « fille du roi de Bohême », elle lui dit encore « vous », ne fait aucune allusion aux sœurs de Prague ; si elle la félicite de sa décision de renoncer au monde, elle ne lui parle de la pauvreté totale que comme si elle était seulement sur le point de s’y engager. (Certains voudraient retarder jusqu’en 1235 la date de cette lettre, parce que la première phrase parle de la renommée universelle d’Agnès et qu’ils attribuent cette renommée à une lettre, datée de 1235, du pape Grégoire IX à Béatrice de Castille).

La deuxième lettre fut certainement écrite entre 1235 et 1239, puisque frère Elie s’y trouve mentionné comme ministre général et qu’il fut déposé en 1239.

La troisième lettre date sans doute du début de 1238, époque à laquelle Agnès demanda aussi à Grégoire IX une nouvelle réglementation du jeûne, qui fut accordée le 11 mai de cette année-là.

La quatrième enfin fut écrite après une longue période de silence due à la maladie de Claire. Celle-ci salue Agnès de Prague de la part de sa propre sœur Agnès d’Assise ; or cette dernière ne revint à Saint-Damien qu’au début de 1253. Il faut donc placer entre janvier et août 1253 la date de cette quatrième lettre. Sainte Claire était sans doute décédée lorsqu’ Agnès reçut ce dernier message.

PREMIÈRE LETTRE À AGNES DE PRAGUE

1 A dame Agnès, vierge sainte et vénérable, fille de Son Excellence illustrissime le Roi de Bohême,

2 Claire, servante de Jésus-Christ, et inutile servante des Pauvres Dames recluses au monastère de Saint-Damien d’Assise, sa sujette et sa servante. exprime son respect tout particulier, se recommande toute à elle, et lui souhaite d’accéder à la gloire de l’éternel bonheur.

3 La renommée de votre sainte conduite et de votre vie irréprochable est parvenue jusqu’à moi ; elle est d’ailleurs répandue partout sur la surface de la terre. 4 J’en suis transportée de joie et d’allégresse dans le Seigneur, comme le sont aussi tous ceux qui servent ou désirent servir Jésus-Christ. 5 Alors que vous auriez pu jouir de toutes les flatteries et de tous les honneurs du monde, et accéder même à la plus haute gloire en devenant l’épouse légitime de l’illustre empereur, union qui convenait à sa majesté et à la vôtre, 6 vous avez renoncé à tout et vous avez opté, de tout l’élan de votre âme et de votre cœur, pour la très sainte pauvreté et pour le dénuement ; 7 vous avez choisi un époux de race plus noble encore : notre Seigneur Jésus-Christ, qui gardera pure et intacte votre virginité. 8 En l’aimant, vous resterez chaste ; ses caresses vous rendent plus pure encore ; sa possession consacre votre virginité. 9 Sa puissance surpasse toute autre, son lignage est le plus doux qui soit, sa grâce la plus parfaite . 10 Vous êtes désormais vouée à son étreinte, lui qui a orné votre poitrine de pierres précieuses, et suspendu à vos oreilles des diamants inestimables, 11 lui qui vous a revêtue de joyaux étincelants comme le printemps, et qui a posé sur votre tête une couronne d’or aux armes de la sainteté .

12 C’est pourquoi, sœur très chère, ou plutôt Dame que je ne saurais trop révérer puisque vous êtes à la fois épouse, mère et sœur de mon Seigneur Jésus-Christ, 13 armez-vous de courage pour le service de Dieu sous le glorieux étendard de l’inviolable virginité et de la très sainte pauvreté ; conservez au cœur le brûlant désir de vous unir au Christ pauvre et crucifié, 14 qui a souffert pour nous tous le supplice de la croix, qui nous a ainsi arrachés à la puissance du prince des ténèbres dont la faute de nos premiers parents nous avait rendus esclaves et qui nous a réconciliés avec Dieu son Père -.

15 O bienheureuse pauvreté, qui prodigue des richesses éternelles à ceux qui l’aiment et la pratiquent ! 16 O sainte pauvreté, en échange de laquelle Dieu offre et promet formellement le royaume des cieux, la gloire éternelle et la vie bienheureuse ! 17 O chère pauvreté, que le Seigneur Jésus-Christ a daigné préférer à toute autre chose, lui qui, de toute éternité, régnait sur le ciel et sur la terre, lui qui a parlé et tout a été fait  ! 18 Les renards, disait-il, ont une tanière, et les oiseaux du ciel leur nid, mais le Fils de l’Homme, c’est-à-dire le Christ, n’a pas trouvé où reposer sa tête  ; quand il a laissé reposer sa tête, ce fut pour jamais, et il rendit l’esprit .

19 Puisqu’un si grand et si glorieux Seigneur a voulu descendre dans le sein de la Vierge, puisqu’il a voulu apparaître au monde méprisé, nécessiteux et pauvre, 20 afin que les hommes, indigents, nécessiteux et affamés de nourriture céleste, devinssent riches grâce à lui en prenant possession du royaume des cieux, 21 exultez donc de joie, soyez épanouie d’un intense bonheur et d’allégresse spirituelle : 22 en préférant le mépris aux honneurs de monde, et la pauvreté aux richesses matérielles, en ne confiant pas vos trésors à la terre mais au ciel, 23 où ni la rouille ne les ronge, ni la moisissure ne les attaque, ni les voleurs ne s’en emparent , vous avez une ample récompense assurée dans le ciel, 24 et vous avez bien mérité d’être appelée sœur, épouse et mère du Fils du Père très haut et de la Vierge glorieuse.

25 Vous savez en effet, j’en suis certaine, que le royaume des cieux n’est promis et donné qu’aux pauvres par le Seigneur , car lorsqu’on s’attache à une chose d’ici-bas on perd le fruit de la charité. 26 On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon, car, ou bien l’un est aimé et l’autre détesté, ou bien l’un est servi et l’autre méprisé  ; 27 un homme habillé ne peut lutter contre un adversaire nu, car ses vêtements fournissant prise, il sera aussitôt renversé  ; on ne peut espérer vivre avec éclat dans ce monde, et régner avec le Christ dans l’autre; 28 un chameau passera par le trou d’une aiguille avant qu’un riche ait franchi la porte du ciel . 29 C’est pourquoi vous avez rejeté ces vêtements que sont les richesses temporelles, afin de ne pas être vaincue dans la lutte, et vous avez choisi le chemin rude et la porte étroite, afin de pouvoir entrer dans le royaume des cieux.

30 Quel échange merveilleux et admirable : laisser les biens de la terre pour ceux de l’éternité, mériter ceux-ci en abandonnant ceux-là, récolter cent pour un, et posséder à jamais le bonheur !

31 C’est pourquoi je supplie humblement votre majesté et votre sainteté, autant que je le puis, pour l’amour du Christ, de vous rendre vous-même toujours plus courageuse dans le service de Dieu, 32 de progresser sans cesse en vertu, afin que Celui que vous aurez servi de tout votre cœur daigne vous donner la récompense que vous souhaitez.

33 Je vous demande enfin dans le Seigneur de vouloir bien, dans vos prières, vous souvenir de moi, votre inutile servante, et des autres sœurs qui habitent avec moi ce monastère et qui vous sont toutes dévouées ; 34 puissions-nous, avec le secours de vos prières, mériter la miséricorde de Jésus-Christ et jouir avec vous de sa vision sans fin !

35 Adieu dans le Seigneur, et priez pour moi.


DEUXIÈME LETTRE À AGNES DE PRAGUE

1 A très noble Dame Agnès, fille du Roi des rois, servante du Seigneur des seigneurs, épouse très digne de Jésus-Christ, et parée, de ce fait, du titre de reine,

2 Claire, inutile et indigne servante des Pauvres Dames, adresse ses salutations et lui souhaite de vivre toujours en parfaite pauvreté.

3 Je rends grâce à l’Auteur de la grâce, à Celui de qui proviennent tout bien et toute perfection , de ce qu’il t’a ornée de tant de vertus et parée de tant de perfection, 4 que tu es devenue imitatrice attentive et parfaite du Père qui est parfait, au point même que ses yeux ne peuvent discerner en toi rien d’imparfait . 5 La voilà, cette perfection qui, dans les palais des cieux, scellera ton union avec le Roi lui-même qui siège dans la gloire sur un trône étoilé  :6 cette perfection a consisté pour toi à mépriser les grandeurs d’un royaume terrestre ; à juger indignes, en comparaison, les propositions d’un mariage avec l’empereur ; 7 à pratiquer la très sainte pauvreté et, avec tout l’élan de ton amour et de ton humilité, à suivre les traces de Celui aux noces duquel tu as mérité d’être conviée.

8 Je te sais parée de vertus, mais je ne veux pas t’importuner en t’accablant de louanges superflues, 9 bien que, pour toi, rien ne soit superflu si tu peux en retirer quelque consolation. 10 Or donc, puisqu’une seule chose est nécessaire , je m’y bornerai et je t’y exhorterai pour l’amour de Celui à qui tu t’es offerte comme une hostie sainte et agréable : 11 souviens-toi de ta vocation et, comme une seconde Rachel , remets-toi toujours en mémoire les principes de base qui te font agir  : ce que tu as acquis, conserve-le soigneusement ; ce que tu fais, fais-le bien ; ne recule jamais ; 12 hâte-toi au contraire et cours d’un pas léger, sans achopper aux pierres du chemin, sans même soulever la poussière qui souillerait tes pieds ; 13 va confiante, allègre et joyeuse. Avance avec précaution cependant sur le chemin du bonheur : 14 ne te fie pas et ne te livre pas à quiconque voudrait te détourner de ta vocation, entraver ta course, et t’empêcher d ‘être fidèle au Très-Haut dans l’état de perfection où l’Esprit du Seigneur t’a appelée.

15 Pour marcher avec plus de sécurité dans la voie des commandements du Seigneur, suis les conseils de notre très révérend Père, frère Elie, Ministre général ; 16 place-les avant tous les autres qu’on te donnera, et considère-les comme plus précieux pour toi que n’importe quel autre don. 17 Et si quelqu’un te dit ou te suggère d’autres initiatives contraires à notre forme de perfection ou opposées à notre divine vocation, ne suis pas ses conseils, même s’ils proviennent d’un personnage très haut placé : 18 c’est au Christ pauvre que, vierge pauvre, tu dois rester attachée. 19 Vois comme il s’est rendu, pour toi, objet de mépris, et suis-le en te faisant, toi aussi, par amour pour lui, objet de mépris pour le monde. 20 Ton époux, le plus beau des enfants des hommes 7 , qui est devenu, pour te sauver, le dernier des humains, méprisé, frappé, tout le corps déchiré à coups de fouets, mourant enfin sur la croix dans les pires douleurs : regarde-le, illustre reine, médite-le, contemple-le et n’aie d’autre désir que de l’imiter !

21 Si tu souffres avec lui, tu régneras avec lui ; si tu pleures avec lui, tu partageras sa joie ; si tu meurs avec lui au milieu des tortures de la croix, tu iras prendre possession des demeures célestes dans la splendeur des saints , 22 ton nom sera inscrit au livre de vie et deviendra glorieux parmi les hommes, 23 tu participeras pour toujours et dans l’éternité à la gloire du royaume des cieux pour avoir abandonné des biens terrestres et éphémères, et tu vivras dans les siècles des siècles.

24 Adieu, sœur et Dame bien-aimée, adieu dans le Seigneur ton époux ; 25 n’oublie pas de nous recommander au Seigneur dans tes ferventes prières, mes sœurs et moi qui sommes si heureuses de tout le bien que le Seigneur, par sa grâce, opère en toi . Recommande-nous instamment aussi aux prières de tes sœurs. Adieu !


TROISIÈME LETTRE À AGNES DE PRAGUE

1 A sa Dame très honorée dans le Christ et sœur tendrement aimée, Agnès, sœur de l’illustre roi de Bohême , mais surtout sœur et épouse du souverain Roi des cieux,

2 Claire, très humble et indigne servante du Christ et des Pauvres Dames, joie du salut dans l’auteur du salut, et tout ce que l’on peut désirer de meilleur.

3 Les heureuses nouvelles que je reçois de ton épanouissement spirituel et de tes progrès toujours plus prometteurs dans la course que tu as entreprise pour conquérir la récompense des cieux me remplissent d’une joie dans le Seigneur et d’une allégresse d’autant plus intenses, 4 que j’y vois un merveilleux complément de la bien piètre imitation que mes sœurs et moi essayons de réaliser du Christ pauvre et humble.

5 J’ai donc bien sujet de me réjouir, et personne ne pourrait me ravir ma joie, 6 quand je vois réalisé ce que, dès cette terre, je désire : tu triomphes d’une manière terrible et surprenante des ruses de l’ennemi, de l’orgueil qui a jeté tout le genre humain dans sa perte, de la vanité qui sème la folie au cœur de l’homme ; tu en triomphes avec cette admirable sagesse que tu sembles tenir de la bouche même de Dieu  ; 7 de toute la force de ta foi, tu tiens dans tes bras de pauvre le trésor caché dans le champ du monde et du cœur humain , trésor incomparable puisqu’il est acheté à Celui qui a fait toutes choses de rien. 8 Pour employer dans leur sens propre les termes de l’Apôtre , je te considère comme une auxiliatrice de Dieu même, comme le soutien et le réconfort des membres abattus de son Corps ineffable. 9 Qui donc m’interdirait de me réjouir à cette pensée ? 10 Réjouis-toi donc toujours dans le Seigneur, toi aussi, sœur bien-aimée, 11 et ne permets à aucune amertume, à aucun nuage, de venir assombrir ta joie, toi qui es ma Dame bien-aimée dans le Christ, toi la joie des anges et la couronne de tes sœurs.

12 Place ton esprit devant le miroir de l’éternité, laisse ton âme baigner dans la splendeur de la Gloire, 13 unis-toi de cœur à Celui qui est l’incarnation de l’essence divine , et, grâce à cette contemplation, transforme-toi tout entière à l’image de sa divinité. 14 Tu arriveras ainsi à ressentir ce que seuls perçoivent ses amis ; tu goûteras la douceur cachée que Dieu lui-même a, dès le commencement, réservée à ceux qui l’aiment

15 Sans accorder même un seul regard à toutes les séductions trompeuses par lesquelles le monde enchaîne les pauvres aveugles qui s’attachent à lui, aime donc plutôt de tout ton être Celui qui, par amour pour toi, s’est aussi donné tout entier, 16 lui dont le soleil et la lune admirent la beauté, lui qui prodigue des récompenses dont l’ampleur et la valeur sont sans bornes. 17 Je veux parler du Fils du Très-Haut, que la Vierge enfante sans cesser d’être vierge. 18 Attache-toi à cette très douce Mère qui a mis au monde cet enfant que les cieux ne pouvaient contenir  ; 19 elle, pourtant, l’a contenu dans le petit cloître de son ventre et l’a porté dans son sein virginal.

20 Qui ne se détournerait avec horreur de l’ennemi du genre humain et de ses ruses ; il fait miroiter à nos yeux le prestige de gloires éphémères et trompeuses, et s’efforce par là de réduire à néant ce qui est plus grand que le ciel. 21 Car l’âme d’un fidèle, qui est la plus digne de toutes les créatures, est évidemment rendue par la grâce de Dieu plus grande que le ciel : 22 ce créateur, que les cieux immenses et toutes les autres créatures ne peuvent contenir, l’âme fidèle à elle seule devient son séjour et sa demeure ; il suffit pour cela de posséder ce que refusent les impies : la charité. 23 Celui qui est la vérité même en témoigne : « Celui qui m’aime, mon Père l’aimera ; moi aussi je l’aimerai, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure « .

24 De même donc que la glorieuse Vierge des vierges l’a porté matériellement, 25 de même toi tu pourras toujours le porter spirituellement dans ton corps chaste et virginal si tu suis ses traces, et particulièrement son humilité et sa pauvreté ; 26 tu pourras contenir en toi Celui qui te contient, toi et tout l’univers ; tu le posséderas de façon bien plus réelle et plus concrète que tu ne pourrais posséder les biens périssables de ce monde. 27 Beaucoup de rois et de reines de ce monde, dont l’orgueil voudrait s’élever jusqu’au ciel, jusqu’à toucher de la tête le firmament, se laissent au contraire abuser et séduire ; 28 et pourtant … ils finiront bien par être réduits en pourriture !

29 J’en viens maintenant aux explications que tu m’as demandées, et voici ce que je crois devoir te répondre. 30 Il s’agit des jours de fête que notre glorieux Père saint François nous a prescrit de célébrer particulièrement, y compris, crois-tu, en ajoutant quelques aliments à notre ordinaire. 31 Tu sauras ceci pour ta gouverne : sauf pour les malades et les sœurs particulièrement fragiles (auxquelles saint François nous a bien recommandé et ordonné de procurer avec le plus grand dévouement possible tous les aliments sans considération d’interdiction de règle), aucune de nous, pourvu qu’elle soit saine et valide, ne devrait jamais suivre un autre régime que celui du carême , et cela aussi bien les jours de fête que les fériés ; le jeûne devrait être perpétuel, 33 sauf le dimanche et le jour de Noël : ces jours-là, il nous est permis de prendre deux repas. 34 Les jeudis ordinaires, le jeûne est laissé au gré de chaque sœur, et celle qui préférerait ne pas jeûner doit être laissée libre. 35 Quant à nous qui nous portons bien, nous jeûnons tous les jours sauf le dimanche et le jour de Noël. 36 Nous ne sommes pas non plus obligées de jeûner durant le temps pascal, ainsi que nous le savons par un billet de saint François , ni aux fêtes de sainte Marie et des saints Apôtres, à moins qu’elles ne tombent un vendredi. 37 Comme je l’ai dit plus haut, nous qui sommes bien portantes et valides, nous nous contentons chaque jour des seuls aliments permis en carême.

38 Cependant, nous n’avons pas un corps d’acier ni une solidité de granit ; 39 nous sommes faibles et sujettes aux infirmités de la nature. 40 Aussi je te prie, sœur bien-aimée, de modérer avec sagesse et discernement la rigueur exagérée de ton abstinence dont j’ai eu des échos. 41 Et je te demande dans le Seigneur de vivre pour le louer, de rendre raisonnables les hommages que tu lui rends, et de toujours assaisonner ton sacrifice du sel de la sagesse .

42 Je te souhaite une santé aussi bonne que je puis le désirer pour moi-même. Souviens-toi, dans tes saintes prières, de mes sœurs et de moi.


 

QUATRIÈME LETTRE À AGNES DE PRAGUE

1 A celle qui est la moitié de son âme et l’objet de sa plus tendre affection, à l’illustre reine, épouse du Roi éternel : à Dame Agnès, mère bien-aimée et fille chère entre toutes,

2 Claire, indigne servante du Christ et servante inutile des servantes du Christ qui habitent le monastère de Saint-Damien à Assise, 3 adresse ses salutations et souhaite le bonheur de chanter un cantique nouveau avec toutes les vierges saintes devant le trône de Dieu et de l’Agneau , et le bonheur de suivre l’Agneau partout où il ira .

4 Mère, fille et épouse du Roi des siècles, ne t’étonne pas si je ne t’écris pas aussi souvent que ton âme et la mienne le souhaiteraient également ; 5 ne va surtout pas croire que l’amour brûlant de ta mère pour toi risque de s’éteindre en mon cœur. 6 Le seul obstacle à notre correspondance a été l’absence de courriers et l’insécurité des routes. 7 Aujourd’hui que se présente l’occasion de t’écrire, j’en suis tout heureuse pour toi, dans la joie de l’Esprit Saint, et je me réjouis de ce que, 8 à l’exemple de sainte Agnès, cette autre vierge très sainte, tu as délaissé toutes les vanités du monde pour t’unir de façon incomparable à l’Agneau sans tache qui efface les péchés du monde .

9 Heureuse celle à qui est accordée cette intimité du banquet divin ! 10 Heureuse si elle aime de tout son cœur Celui dont la beauté fait l’admiration des anges pour l’éternité, 11 Celui dont l’amour rend plus heureux et la contemplation plus fort, 12 Celui qui nous comble de sa bonté, qui nous imprègne de sa douceur, et dont le souvenir est si lumineux et si doux à notre âme, 13 Celui dont le parfum fait revivre les morts et dont la vision comble de bonheur les habitants de la Jérusalem céleste, 14 puisqu’il est la splendeur de la Gloire éternelle , l’éclat de la Lumière sans fin et le miroir sans tache .

15 Contemple chaque jour ce miroir, O reine épouse de Jésus-Christ, et mire-toi continuellement 16 pour savoir comment revêtir, intérieurement et extérieurement, tes plus beaux atours, 17 comment te parer des fleurs de toutes les vertus et des ornements qui conviennent à ta qualité de fille et d’épouse chérie du Grand Roi. 18 Ce miroir reflète la bienheureuse pauvreté, la sainte humilité et l’ineffable amour : c’est là ce que tu pourras découvrir, avec la grâce de Dieu, sur toute la surface de ce miroir.

19 En haut du miroir, en effet, voici la pauvreté de l’Enfant couché dans la crèche et enveloppé de quelques méchants langes, 20 humilité admirable et stupéfiante pauvreté : 21 le Roi des anges, maître du ciel et de la terre, repose dans une mangeoire d’animaux ! – 22 Au milieu du miroir, considère l’humilité, c’est-à-dire la bienheureuse pauvreté, les fatigues sans nombre et les injures qu’il a subies pour la rédemption de l’humanité. – 23 Enfin, au bas du miroir, contemple l’ineffable amour qui l’a conduit jusqu’à vouloir souffrir sur le bois de la croix et à vouloir y mourir du genre de mort le plus infamant qui soit.

24 Et ce miroir, du haut de la croix, attirait lui-même l’attention des passants sur ce qui devait faire l’objet de leur contemplation : 25 O vous tous qui passez sur le chemin, arrêtez-vous et voyez s’il est une douleur semblable à la mienne  ! 26 A ce cri plaintif répondons toujours d’une seule voix et d’un même cœur: ton souvenir ne me quitte pas, et l’angoisse étreint mon âme . 27 Puises-tu, reine du Roi du ciel, être chaque jour davantage embrasée de la ferveur de cet amour !

28 Contemple encore l’indicible bonheur, les richesses et les honneurs sans fin qu’il procure, 29 et tu lui crieras, de toute l’ardeur de ton désir et de ton amour : 30 « Prends-moi avec toi, mon époux céleste, je te poursuis sur la trace de tes parfums. 31 Je ne m’arrêterai de courir qu’une fois introduite au cellier, 32 lorsque ton bras gauche soutiendra ma tête, que ta droite m’étreindra et que tu me donneras de ta bouche le délicieux baiser « .

33 Au milieu de cette contemplation, souviens-toi de ta pauvre mère, 34 et dis-toi bien que j’ai gravé ton doux souvenir, de façon indélébile, au plus profond de mon cœur, car tu m’es chère entre toutes. 35 Que te dire de plus ? La langue du corps est impuissante à exprimer l’affection que j’ai pour toi ; c’est celle de l’esprit qui doit l’exprimer et parler. 36 La langue du corps est défaillante à traduire pleinement l’amour que j’ai pour toi, ma fille bénie, mais la langue de l’esprit complétera ce que je n’ai exprimé qu’à moitié. 37 Reçois mes paroles avec bienveillance et bonté ; veuille n’y voir que mon amour maternel pour toi et pour tes filles ; recommande-leur instamment dans le Christ mes filles et moi-même. 38 Mes filles, et surtout notre très sage sœur Agnès, se recommandent aux tiennes de tout leur cœur.

39 Adieu, très chère fille, adieu à toi et à tes sœurs en attendant le trône de gloire du Très-Haut. Priez toutes pour nous.

40 Je recommande particulièrement à ta charité nos frères, porteurs de cette lettre, frère Aimé, cher à Dieu et aux hommes, et frère Bonaugure. Amen.

 

Les Éditions Franciscaines de Paris autorisent l’École Franciscaine de Paris à reproduire intégralement les Écrits de François et de Claire, moyennant le rappel du Copyright.
traduct. F. D. Vorreux, « Les Écrits de François et de Claire », 6è ed. (1996)copyright, Éditions Franciscaines, Paris

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