LÉGENDE DE PÉROUSE 49-51

RESPECT POUR TOUTES LES CRÉATURES

  1. Il n’est pas étonnant que le feu et les autres créatures lui aient parfois témoigné des égards. En effet, nous qui vivions avec lui, nous avons été témoins de l’affection et du respect qu’il leur portait, du plaisir qu’elles lui procuraient. Il avait pour elles tant d’amour et de sympathie, qu’il était troublé quand on les traitait sans égards. Il leur parlait avec une grande joie intérieure et extérieure, comme si elles avaient le sens de Dieu, l’intelligence et la parole[1] ; bien souvent ce fut pour lui l’occasion d’être ravi en Dieu.

Un jour qu’il était assis prés du foyer, le feu, sans qu’il s’en aperçût, prit à ses caleçons de lin, le long de la jambe. Il en sentit la chaleur, mais comme un de ses compagnons, voyant que les habits brûlaient, s’élançait pour l’éteindre, il lui dit : « Non, mon très cher frère, ne fais pas de mal à notre frère le feu ! » Et il ne permit pas qu’on l’éteignît. L’autre courut alors trouver le frère qui était le gardien du bienheureux et l’amena sur les lieux. On éteignit le feu, mais c’était bien malgré François. Il ne voulait même pas qu’on éteignît chandelle, lampe ou feu, comme on le fait quand on n’en a plus besoin, tant il avait pour cette créature de tendresse et de pitié. Il défendait aussi que je frère jette au vent, comme on le fait d’habitude, les braises ou les tisons : il voulait qu’on les pose délicatement par terre, par respect pour celui qui a créé le feu..

  1. Pendant un carême sur le Mont Alverne, il arriva qu’un jour son compagnon, à l’heure du repas, alluma du feu dans la cellule où il mangeait. Le feu allumé, il alla trouver le saint dans la cellule où il priait et se reposait, pour lui lire, comme d’habitude, l’évangile de la messe du jour. Le bienheureux, en effet, quand il ne pouvait entendre la messe, voulait qu’on lui lût l’évangile du jour avant le repas. Quand il arriva pour manger dans la cellule où le feu avait été allumé, déjà la flamme montait jusqu’au toit qui commençait à brûler. Son compagnon essaya de l’éteindre, comme il pouvait, mais, tout seul, il n’y arrivait pas. Le bienheureux François ne voulut pas l’aider. Il emporta une peau dont il se couvrait la nuit, et s’en alla dans la forêt. Les frères du couvent, situé assez loin de la cellule bâtie à l’écart, accoururent dés qu’ils la virent brûler et éteignirent le feu. Le bienheureux François revint pour manger. Après le repas il dit à son compagnon : « Je ne me couvrirai plus désormais de cette peau, car j’ai péché par avarice en ne voulant pas que mon frère feu la dévore. »
  1. Quand il se lavait les mains, il choisissait un endroit où l’eau des ablutions ne serait pas ensuite foulée aux pieds. Lorsqu’il devait marcher sur des pierres, il le faisait avec crainte et respect, par amour de celui qui est appelé « La pierre[2] ». Quand il récitait ce passage du
    psaume : « Sur la pierre tu m’as exalté[3] », il le transformait en : « Sous les pieds de la pierre tu m’as exalté ». Au frère qui allait tailler le bois pour le feu, il recommandait de ne pas couper l’arbre tout entier, mais d’en laisser une partie ; il en donna même l’ordre à un frère dans le couvent où il séjournait. De même il disait au frère jardinier de ne pas tout planter en légumes, mais de laisser une partie du terrain pour les plantes vivaces qui produiraient, en leur temps, nos sœurs les fleurs. Il disait même que le frère jardinier devrait réserver dans un coin l’emplacement d’un beau jardinet où il mettrait toutes sortes d’herbes aromatiques et de plantes à fleurs, afin qu’en leur saison elles invitent à la louange de Dieu tout homme qui les regarderait ; car toute créature dit et proclame: « C’est Dieu qui m’a créée pour toi, ô homme ! »

Nous qui avons vécu avec lui, nous l’avons vu trouver dans toutes les créatures un grand sujet de joie intérieure et extérieure ; il les caressait et les contemplait avec bonheur, si bien que son esprit paraissait vivre au ciel et non sur terre. Cela est si vrai que, pour reconnaître les nombreuses consolations qu’il avait reçues et recevait des créatures de Dieu, il composa, peu avant sa fin, les « Louanges du Seigneur pour ses créatures ». Il voulait par ce moyen inciter le cœur de ceux qui entendraient ce cantique, à rendre gloire à Dieu, afin que le Créateur fût loué par tous pour toutes ses créatures[4].

Retour au sommaire

 

 

[1] On pourrait traduire aussi : comme si elles pouvaient entendre ce qu’il leur disait de Dieu, le comprendre et lui répondre.

[2] l Co10 4.

[3] Ps 27 5_

[4] Deus ab omnibus laudaretur. Ici comme dans Sp l18, nous avons une interprétation autorisée du Cantique des Créatures, où le passif Laudato Si a pour complément d’agent : hommes (sous-entendu), et non pas le nom de la créature introduite à chaque strophe par la préposition per.

Les commentaires sont fermés