CHAPITRE 38
DE L’ARGENT TRANSFORMÉ EN SERPENT.
- Cheminant un jour avec un compagnon à travers la Pouille, l’homme de Dieu approchait de Bari quand il voit sur la route une de ces grosses bourses appelées fontes dans le vocabulaire des voyageurs de commerce ; elle était bien rebondie, pleine d’écus. Son compagnon le presse alors vivement de ramasser la bourse pour en distribuer l’argent aux pauvres ; il lui fait l’éloge de la charité à l’égard des miséreux et magnifie par avance le coeur miséricordieux qui distribuera ainsi cet argent trouvé. Mais le saint refusa catégoriquement : « C’est un piège du diable, affirma-t-il. Il n’est jamais permis, mon fils, de prendre l’argent d’autrui ; c’est un péché, non une action méritoire, que de s’en servir pour faire des largesses. »
Là-dessus ils repartent, pressés de terminer leur voyage. Mais le frère n’était pas satisfait ; abusé par une sentimentalité stérile, il s’obstinait à proposer sa désobéissance, tant et si bien que François consentit à rebrousser chemin, non pour donner satisfaction au frère mais pour montrer à cet insensé la mystérieuse sagesse de Dieu. Il appelle un jeune homme qui se tenait assis sur la margelle d’un puits au bord de la route afin que le secret de la Sainte Trinité soit révélé en présence de deux ou trois témoins[1]. Ils reviennent à la bourse, la trouvent toujours aussi replète ; mais le saint les empêche d’y toucher : il voulait d’abord prier pour mettre en pleine lumière la ruse du démon. Il s’éloigne à distance d’un jet de pierre et se met en prière, puis ordonne au frère de ramasser la bourse.
Le frère tremblait déjà de peur : il se sentait envahir de je ne sais quel pressentiment et ne voyait plus la situation du même œil. Par respect pour la sainte obéissance, il finit pourtant par expulser de son coeur toute hésitation et saisit la bourse. Au même instant, voilà qu’un serpent de belle taille s’en échappe : la ruse de l’ennemi était clairement manifestée. Et le saint de conclure : « Pour les serviteurs de Dieu, frère, l’argent ce n’est ni plus ni moins qu’un diable et un serpent venimeux. »
[1] Cf. Mt 18 16.