CHAPITRE 22
DU CÉLERI RÉCOLTÉ LA NUIT DANS UN PRÉ COMME IL L’AVAIT ORDONNÉ.
- Aux tout derniers temps de sa maladie, il eut envie, une nuit, de manger du céleri[1] ; humblement il en demanda. On appela le cuisinier qui répondit ne pouvoir rien cueillir à cette heure dans le jardin. « J’ai d’ailleurs récolté ou coupé déjà tant de céleri que c’est à peine si en plein jour je pourrais en découvrir un brin. A plus forte raison dans l’obscurité suis-je incapable maintenant de le distinguer des autres plantes.
– Frère, lui dit le saint, va, ne t’en fais pas une montagne, et apporte-moi les premières herbes qui te viendront sous la main. » Le frère s’en alla au jardin : on n’y voyait goutte ; il arracha la première brassée d’herbes qui lui tomba sous la main et l’apporta. On les examina, on les tria et on trouva parmi elles du céleri tendre et bien fourni.
Le saint en mangea un peu et s’en trouva réconforté, puis il dit : « Mes bien chers frères, exécutez toujours à la première injonction les ordres qui vous sont donnés, sans attendre qu’on vous le dise deux fois. Et ne vous excusez jamais en disant que c’est impossible, car, même si l’ordre était au-dessus de vos forces, l’obéissance, elle, trouverait les forces nécessaires. »
Voyez par cet exemple jusqu’à quel point l’Esprit du Seigneur l’avait doué de l’esprit de prophétie.
[1] Ombellifère, à sève vigoureuse, beaucoup plus répandue alors que maintenant. Dans l’antiquité on se servait du céleri pour ranimer les mourants (et c’est ici le cas), d’où le proverbe : « Il a besoin de céleri », pour signifier : « il va mourir ». (Plutarque, Morales, 676 ; Diodore de Sicile, XVI, 79). (La plupart des auteurs traduisent petrosillum par persil, qui est aussi une variété d’ache. Leurs arguments ne sont pas négligeables. On peut maintenir céleri, en remarquant qu’il ne s’agit pas de la variété récente de céleri-rave, et d’autre part qu’on ne connaît encore au XIIIe siècle aucune variété domestique de persil).