CHAPITRE 146
COMMENT IL VOULAIT QUE LES GRANDS SAVANTS SE DÉPOUILLENT DE TOUT POUR ENTRER DANS L’ORDRE.
194. Il affirma un jour qu’un grand savant devait, pour entrer dans l’Ordre, renoncer en quelque sorte à sa science elle-même, afin qu’ainsi dépouillé de ce qui est encore une forme de possession, il puisse s’offrir nu à l’accolade du Crucifié1.
« La science, disait-il, rend difficile l’obéissance ; elle entretient une certaine raideur qui refuse de se plier aux exercices d’humilité. C’est pourquoi j’aimerais entendre l’un de ces grands esprits m’adresser en ces termes sa demande d’admission : « Frère, voilà longtemps que je vis dans le siècle sans connaître vraiment mon Dieu. Je te prie de me désigner un petit couvent, loin du monde et de ses tumultes, où je puisse me livrer à la contrition pour mes années passées, concentrer sur Dieu les élans de mon coeur jusqu’ici dispersés, et donner à mon âme sa nouvelle orientation vers le bien. » A quelle sainteté ne parviendrait-il pas, celui qui débuterait ainsi ? Il serait comme un lion mis en liberté, plein de vigueur et capable de tout ; sa flamme intérieure grandirait en lui de jour en jour. Et c’est alors qu’on pourrait lui confier le ministère de la prédication avec la certitude que ses paroles ne feraient que traduire la ferveur bouillonnant en lui. »
Cet enseignement est vraiment sain et précieux : quoi de plus nécessaire, en effet, pour qui revient des territoires du péché2, que d’effacer et détruire au moyen de pratiques d’humilité des tendances mondaines depuis longtemps imprimées à son âme ! Une fois entré à l’école de la perfection, il y deviendrait vite parfait.
1 Image inspirée de saint Jérôme; Epist. 52, 5; 125, 20. Elle est reprise par saint Bonaventure, Cf. LM 7 2.
2 Littéralement : de la « région de dissemblance ». Sur le sens de cette expression, Cf. G. Folliet, Regio dissimilitudinis, dans Rev. Et. Aug. 16 (1970) 187-8.