La charité
CHAPITRE 131
SA CHARITe. COMMENT, POUR SAUVER LES AMES, IL VOULAIT SE MONTRER UN MODÈLE DE PERFECTION.
172. Les sentiments tout naturels de son coeur suffisaient déjà à le rendre fraternel pour toute créature ; il ne faut pas s’étonner que, dans l’amour du Christ, il soit devenu davantage encore le frère des hommes, que le Créateur a faits à son image. Rien n’est plus important, disait-il, que de sauver les âmes et il en donnait pour preuve la croix sur laquelle, pour sauver les âmes, le Fils de Dieu voulut mourir. C’est là que nous trouvons le secret de son ardeur à prier, de son assiduité à prêcher, de ses exagérations quand il s’agissait de donner l’exemple. Il ne se considérait comme un ami du Christ qu’à la condition d’aimer les âmes comme le Christ les avait aimées. A ses yeux, le motif déterminant de vénérer les docteurs1, c’était leur participation à l’oeuvre du Christ dont ils sont les auxiliaires. Mais il aimait surtout, de la plus affectueuse tendresse, ses frères que leur foi incomparable lui avait donnés pour famille et qui lui étaient unis par le même droit au même héritage éternel.
173. Quand on lui reprochait son austérité, il répondait que son rôle dans l’Ordre était celui de modèle, comme l’aigle qui encourage les aiglons à prendre leur essor2. Bien que sa chair innocente, soumise de plein gré à l’esprit, n’eût mérité aucun châtiment pour ses propres fautes, pour l’exemple cependant il lui imposait toujours de nouvelles peines, cheminant pour autrui en des sentiers ardus3.
Là encore il voyait juste, car on fait toujours plus attention aux actes qu’aux paroles des supérieurs. Ton exemple, Père, était encore la plus persuasive éloquence, la démonstration la plus convaincante. Les supérieurs parleraient-ils toutes les langues des anges et des hommes : s’ils ne donnent pas l’exemple de la charité, je n’en profite guère, et eux pas du tout4. Quand un supérieur sans aucune crainte du Juge n’écoute que son caprice pour faire la loi, les sceaux dont il dispose5 ne suffiront pas à lui assurer le salut. Il faut lui obéir cependant6 : par des canaux desséchés, l’eau peut arriver jusqu’aux parterres de fleurs, et l’on cueille parfois une rose parmi des ronces ; ainsi l’orgueilleux sert parfois les intérêts des plus humbles7.
1 Cf. .§ 163.
2 Dt 32 11
3 Ps 16 4.
4 Cf. 1 Co 13 1-3 ; Adm 5 5.
5 Symbole extérieur de son autorité.
7 Avec un jeu de mots sur minori : les intérêts du vrai frère mineur.