LÉGENDE DE PÉROUSE 72-74

ENCORE LE NOVICE ET SON PSAUTIER

  1. Un jour que le bienheureux François était venu à l’ermitage où demeurait le novice dont on a parlé plus haut, ce frère vint lui dire : « Père, ce serait pour moi une grande consolation que d’avoir un psautier ; mais quoique le Ministre général me l’ait permis, je veux ne le tenir que de ton consentement. » Voici quelle fut la réponse du bienheureux : « L’empereur Charles, Roland et Olivier, tous les paladins et preux guerriers qui furent puissants au combat, poursuivirent les infidèles jusqu’à la mort, n’épargnant ni sueurs ni fatigues, et remportèrent sur eux une victoire mémorable ; et pour finir, ces saints martyrs sont morts en combattant pour la foi du Christ[1]. Or on en voit beaucoup maintenant qui voudraient s’attribuer honneur et gloire en se contentant de chanter leurs exploits ! » On trouve l’explication de ces paroles dans les Admonitions[2] où il écrit : « Les saints ont accompli des exploits ; nous, dans nos récits et nos sermons, nous nous contentons d’exploiter leurs actions dans le but d’en retirer honneur et gloire ! » C’était dire en d’autres termes : la science enfle, la charité édifie[3].
  1. Une autre fois, comme le bienheureux François était assis prés du feu et se chauffait, ce frère vint le relancer avec son psautier. Le saint lui répondit : « Et quand tu auras un psautier, tu voudras un bréviaire ; et quand tu auras un bréviaire tu t’installeras dans une chaire comme un grand prélat, et tu commanderas à ton frère : Apporte-moi mon bréviaire ! » Ce disant, tout emporté par la passion, il prit de la cendre au foyer, la répandit sur sa tête, et il s’en frictionnait en répétant : « Le voilà, le bréviaire ! » Le frère en resta tout ébahi et honteux.Après quoi le bienheureux lui dit : « Moi aussi, frère, j’ai été tenté d’avoir des livres ; mais pour connaître sur ce point la volonté de Dieu, j’ai pris le livre des Evangiles et j’ai prié le Seigneur de me faire connaître, à la première page que j’ouvrirais, ce qu’il voulait de moi. Ma prière terminée, j’ouvris le livre et tombai sur ce verset : A vous il a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, aux autres cela n’est donné qu’en paraboles[4]. Et il ajouta «Nombreux sont ceux qui désirent s’élever jusqu’à la science, mais bienheureux celui qui préfère y renoncer pour l’amour du Seigneur Dieu! »
  1. Quelques mois plus tard, pendant un séjour du bienheureux François à Sainte-Marie de la Portioncule, il se trouvait un jour prés de sa cellule sur la route qui passe derrière la maison, quand ce frère revint encore lui parler de son psautier. Le saint lui dit : « Va, et fais ce que ton Ministre te dira. » Là-dessus, le frère s’en retourna par où il était venu. Le bienheureux François était resté sur la route, réfléchissant à ce qu’il avait dit au frère. Tout à coup il lui cria : « Attends, frère, attends ! » Il le rejoignit et lui dit : « Reviens avec moi, et montre-moi l’endroit où je t’ai dit, pour ton psautier, de faire ce que te dirait ton Ministre. » Ils y revinrent, le bienheureux se mit à genoux devant le frère et lui dit : « Mea culpa, frère, mea culpa : quiconque veut être Frère mineur ne doit posséder que la tunique accordée par la Règle, la corde et les caleçons, plus les chaussures si la nécessité ou la maladie l’exigent. » Chaque fois qu’un frère venait lui demander un conseil de ce genre, il lui faisait la même réponse. Et il disait : « Il n’est de science qu’à proportion des actes ; il n’est de meilleur sermon que la pratique des vertus. » C’était dire équivalemment: « On ne reconnaît le bon arbre qu’à ses fruits[5]. »

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[1] François appelle « martyrs «  les paladins parce qu’il les considère comme des croisés. Dans la Chanson de Roland (laisse 95), l’évêque Turpin leur dit aussi avant le combat : « Si vous mourez, vous serez saints martyrs ».

[2] Adm 6 3.

[3] Co 8 1.

[4] Mc 4 11.

[5] Lc 6 44 et cf. Adm 7.

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