CONSIGNES POUR LA CONSTRUCTION
- Un frère, homme de vie intérieure profonde, à qui le bienheureux François témoignait beaucoup d’amitié, demeurait dans un ermitage[1]. Considérant que si le bienheureux venait en ce lieu, il n’aurait pas d’endroit convenable pour y demeurer, il fit élever dans un coin solitaire proche du couvent des frères une cellule où le bienheureux François pût prier quand il viendrait en cet endroit. Et en effet, peu de jours après arriva le bienheureux François. Comme le frère le conduisait à cette cellule, le bienheureux François lui dit : « Cette cellule est trop belle, à mon goût. Si tu veux que j’y passe quelques jours, fais-la revêtir intérieurement et extérieurement de pierraille et de branchages. » Or cette cellule n’était pas maçonnée mais construite en bois ; seulement comme le bois en était lisse, travaillé à la hache et à la doloire, elle paraissait trop belle au bienheureux François. Aussi le frère la fit arranger comme l’avait demandé le saint. En effet, plus les cellules et les maisons des frères étaient petites et conformes à l’état religieux, plus le saint prenait plaisir à les voir et à y séjourner.
Il demeurait et priait depuis quelque temps dans cette cellule quand, un jour qu’il en était sorti et se trouvait près du couvent des frères, un de ceux-ci vint le rejoindre : « D’où viens-tu, frère ? » demanda le bienheureux François. – « De ta cellule », dit le frère. Et le bienheureux François aussitôt : « Puisque tu as appelé cette cellule ma cellule, un autre désormais l’occupera, moi pas !
Nous qui avons vécu avec lui, nous l’avons bien souvent entendu répéter cette parole du saint Evangile: « Les renards ont des tanières et les oiseaux des nids, mais le Fils de l’Homme n’a pas où reposer sa tête[2]. »
Et il disait : « Quand le Seigneur se retira dans la solitude[3] pour prier et jeûner quarante jours et quarante nuits, il ne se fit bâtir ni cellule ni maison, mais il s’abrita sous une roche de la montagne. » Et c’est pourquoi, à son exemple, il ne voulait avoir ici-bas ni maison ni cellule et défendait qu’on en construisît pour lui. Bien plus, s’il lui était arrivé, par inadvertance, de dire aux frères : « Faites-moi préparer telle cellule », il ne voulait plus, par la suite, y demeurer, à cause de cette parole de l’Evangile : « Ne prévoyez pas[4] ! »
Aux approches de la mort, il tint à faire écrire dans son Testament que toutes les cellules et maisons des frères devaient être construites uniquement en terre et en bois, pour mieux sauvegarder la pauvreté et l’humilité[5].
- Pendant qu’il était à Sienne pour y soigner ses yeux, – il demeurait dans une cellule où, après sa mort, on édifia un oratoire par vénération pour lui, – le seigneur Bonaventure, qui avait donné aux frères le terrain où s’élevait leur couvent, dit un jour au bienheureux François : « Que penses-tu de ce couvent ? » Le bienheureux répondit :
« Veux-tu que je te dise comment doivent être bâtis les couvents des frères ? » Il répondit :
« Volontiers, Père ! » Le saint lui dit :
« Lorsque les frères arrivent dans une ville où ils n’ont point encore de résidence, s’ils trouvent quelqu’un qui veuille leur donner un terrain pour bâtir un couvent, avec un jardin et l’espace nécessaire, ils doivent d’abord déterminer la surface suffisante, à ne pas dépasser; jamais, en effet, ils ne doivent perdre de vue la sainte pauvreté que nous avons promis d’observer, ni le bon exemple que nous sommes tenus de donner aux autres. »
Le saint Père parlait ainsi parce qu’il voulait enlever aux frères tout prétexte à violer la règle de la pauvreté dans leurs maisons, églises, jardins ou autres choses à leur usage. Il voulait aussi qu’ils ne soient propriétaires d’aucun couvent, mais qu’ils y demeurent toujours comme des pèlerins et des étrangers[6]. Et s’il ne voulait qu’un petit nombre de frères par maison, c’est qu’il lui semblait difficile pour une communauté importante d’observer la pauvreté. Or, dès le début de sa conversion, sa volonté constante fut que l’on gardât parfaitement la sainte pauvreté.
- « Ensuite, ils doivent aller trouver l’évêque de la ville et lui dire : « Seigneur, Un Tel a décidé, pour l’amour de Dieu et pour le salut de son âme, de nous donner le terrain nécessaire pour bâtir un couvent. Notre première démarche est pour vous, puisque vous êtes le père et le maître des âmes de tout le troupeau qui vous est confié, donc aussi des nôtres et de celles des frères qui habiteront ce lieu. Avec la bénédiction du Seigneur et la vôtre, nous voulons donc fonder ici une maison. »
Le saint parlait ainsi parce que le bien des âmes, que les frères veulent réaliser dans le peuple, sera plus grand si, vivant en paix avec les prélats et les clercs, ils gagnent à Dieu et le peuple et le clergé, que s’ils convertissaient seulement le peuple, en scandalisant le clergé. Et il disait :
« Le Seigneur nous a appelés pour ranimer la foi et aider les prélats et les clercs de notre mère la sainte Eglise. Aussi sommes-nous tenus, dans la mesure du possible, de toujours les aimer, les honorer et les vénérer. Les frères, en effet, sont appelés « mineurs » parce qu’ils doivent rester bien humbles à l’égard de tous les hommes de ce monde, dans tout leur comportement et par leur exemple, aussi bien que par leur nom. Quand, au début de ma conversion, je me suis séparé du monde et de mon père selon la chair, le Seigneur a mis sa parole dans la bouche de l’évêque d’Assise pour me donner conseil et courage au service du Christ. Pour cette raison, et pour tant d’autres qualités éminentes que j’aperçois dans les prélats, je veux aimer, vénérer et regarder comme mes seigneurs, non seulement les évêques mais encore les humbles prêtres[7]. »
- « Après avoir reçu la bénédiction de l’évêque, qu’ils aillent faire creuser un grand fossé autour du terrain reçu pour bâtir le couvent ; qu’ils y plantent, en guise de mur, une bonne haie en signe de sainte pauvreté et d’humilité. Ensuite, qu’ils fassent faire de pauvres petites maisons de terre et de bois, et quelques cellules où les frères puissent quelquefois prier et travailler plus à l’aise et surtout à l’abri des bavardages inutiles. Qu’ils fassent bâtir aussi des églises. Mais que les frères n’élèvent pas de grandes églises sous prétexte de prêcher au peuple, ni sous quelque autre prétexte. L’humilité sera plus grande en effet, et l’exemple meilleur, si les frères vont prêcher dans les autres églises, observant ainsi la sainte pauvreté, l’humilité et les bonnes traditions ; et s’il arrive que des prélats ou des clercs, religieux ou séculiers, viennent en visite chez les frères, les maisons, cellules et églises de ceux qui habitent là seront par leur pauvreté une vraie prédication et une source d’édification. »
Et il ajouta : « Trop souvent les frères font élever de grands édifices ; ils violent en cela notre sainte pauvreté, provoquent des murmures et donnent le mauvais exemple au prochain. Puis, sous prétexte de chercher un couvent meilleur et plus saint, ils abandonnent ce lieu et ces constructions. Alors les bienfaiteurs qui leur ont donné des aumônes, et même les autres, sont fort scandalisés et troublés à cette nouvelle ou à ce spectacle. Que les frères donc fassent édifier des constructions petites et pauvres, fidèles ainsi à leur profession religieuse et au devoir de donner le bon exemple. Cela vaut mieux que de faire le bien, mais en donnant un mauvais exemple, ce qui serait contraire à leur profession. Et s’il arrivait aux frères de vouloir abandonner pour un couvent plus convenable cette petite résidence et ces constructions pauvres, l’exemple serait moins pernicieux, et le scandale moins grand ! »
[1] Celano précise : ermitage de Sarteano (2 C 59).
[2] Mt 8 20 ; cf. 2 C 56.
[3] Solitude. Le texte latin dit : in carcere. C’est le mot qui sert aussi pour désigner un « reclusage ». C’est aussi le mot qui désigne l’ermitage des frères près d’Assise : les Carceri.
[4] Lc 22 22.
[5] Cf. Test 24. – Cc dernier alinéa, qui clôt le § 13 dans l’édit. de l’AFH, est le premier du § 14 dans l’édit. de Paris.