DERNIÈRE VISITE DE « FRÈRE JACQUELINE »
101. Un jour le bienheureux François appela ses compagnons et leur dit : « Vous savez combien dame Jacqueline de Settesoli fut toujours et demeure attachée à notre Ordre . Je crois que, si vous l’informiez de mon état, ce serait pour elle une grande délicatesse et une grande consolation. Ecrivez-lui de vous envoyer, pour une tunique, de ce drap monastique couleur de cendre, comme celui que fabriquent les Cisterciens dans les pays d’outre-mer. Qu’elle envoie aussi de ce gâteau qu’elle m’a préparé maintes fois quand j’étais à Rome. » Les Romains appellent mostacciuolo ce gâteau d’amandes, de sucre ou de miel, et d’autres ingrédients. Cette dame était une veuve très pieuse, apparentée aux familles les plus nobles et les plus riches de Rome. Par les mérites et la prédication du bienheureux François, elle avait reçu de Dieu le don des larmes et de la ferveur, au point qu’elle semblait une autre Marie-Madeleine. On venait d’écrire la lettre, comme l’avait demandé le saint, on allait désigner un frère pour la porter, quand soudain on heurta à la porte. Un frère alla ouvrir, trouva dame Jacqueline qui accourait de Rome pour visiter le bienheureux François, et revint aussitôt avertir ce dernier que dame Jacqueline arrivait pour le voir, accompagnée de son fils et de plusieurs autres personnages. Et il dit : « Que faisons-nous, Père ? Lui permettrons-nous d’entrer et de venir jusqu’à toi ? » En effet, par la volonté du saint, il avait été établi, longtemps auparavant, que pour l’honneur et la dignité de ce couvent aucune femme ne devait en franchir la clôture. Le bienheureux François répondit : « Cette règle n’est pas applicable à cette dame qu’une telle foi et dévotion a fait venir de si loin. » Introduite auprès du bienheureux, elle se mit à fondre en larmes. O merveille ! elle avait apporté un drap mortuaire couleur de cendre, de quoi faire une tunique, et tout ce que dans la lettre on lui avait demandé d’envoyer. Et les frères de considérer, avec la plus vive admiration, la sainteté du bienheureux François. Dame Jacqueline dit aux frères : « Mes frères, j’étais en train de prier, et j’ai entendu en esprit une voix me dire : Pars visiter ton père, le bienheureux François. Mais hâte-toi, ne perds pas un instant, car si tu tardes, tu ne le trouveras plus vivant. Tu porteras telle qualité de drap pour lui faire une tunique, et ce qu’il faut pour confectionner tel gâteau. Prends en outre pour le luminaire une grande quantité de cire, et aussi de l’encens. » Or le bienheureux François n’avait pas parlé d’encens dans la lettre. Mais le Seigneur avait inspiré cette dame pour la récompenser et consoler son âme, et aussi pour nous faire mieux connaître quelle était la sainteté de ce pauvre que le Seigneur voulait entourer de tant d’honneurs au moment de sa mort. Celui qui avait inspiré aux Rois de venir avec des présents pour honorer l’Enfant, son Fils bien-aimé, aux jours de sa nativité et de sa pauvreté, inspira à cette noble dame qui demeurait si loin, de venir aussi avec des présents pour vénérer et honorer le corps de son saint serviteur qui, avec tant d’amour et de ferveur, chérit et imita dans sa vie et dans sa mort la pauvreté de son Fils bien-aimé. Cette dame confectionna le gâteau que le Père avait désiré. Mais il y toucha à peine, car chaque jour la maladie faisait décliner ses forces et il touchait à sa fin. Elle fit faire aussi beaucoup de cierges qui devaient brûler devant le saint corps après son trépas. Avec l’étoffe qu’elle avait apportée, les frères firent au bienheureux une tunique dans laquelle il fut enseveli. Lui-même, il ordonna aux frères de coudre, par-dessus, de la toile à sac, en signe de très sainte humilité et pauvreté. Et il arriva, selon la volonté de Dieu, que, dans la semaine où dame Jacqueline était venue, le bienheureux François s’en fut vers le Seigneur.