LÉGENDE DE PÉROUSE 102-106

HUMILITÉ ET OBÉISSANCE

  1. Dès le début de sa conversion, le bienheureux François, en sage qu’il était, voulut, avec l’aide du Seigneur, établir solidement et lui-même et sa maison, c’est-à-dire son Ordre, appelé Ordre des Frères mineurs, sur un roc solide, à savoir sur la très grande humilité et la très grande pauvreté du Fils de Dieu.

Sur une profonde humilité. C’est pourquoi dès le début, quand les frères commencèrent à se multiplier, il leur prescrivit de demeurer dans les lazarets pour servir les lépreux. A ce moment-là, quand se présentaient les postulants, nobles ou roturiers, on les prévenait, entre autres choses, qu’il leur faudrait servir les lépreux et résider dans leurs hôpitaux[1].

Sur une très grande pauvreté. Il est dit, en effet, dans la Règle[2] que les frères doivent habiter leurs maisons « comme des étrangers et des pèlerins, et qu’ils ne doivent rien désirer sous le
ciel », si ce n’est la sainte pauvreté, grâce à laquelle le Seigneur les nourrira, en ce monde, d’aliments corporels et de vertus, et qui leur vaudra dans l’autre vie le ciel, leur héritage

Pour lui-même aussi, il choisit ce fondement d’une parfaite humilité et d’une parfaite pauvreté : bien qu’il fût un grand personnage dans l’Eglise de Dieu, il voulut, par un libre choix, être tenu au dernier rang non seulement dans l’Eglise, mais aussi parmi ses frères.

 

  1. Un jour qu’il prêchait au peuple de Terni sur la place, devant l’évêché, l’évêque de la cité, homme de jugement et e vie intérieure, assistait à la prédication. Quand elle fut terminée, il se leva et dit, entre autres paroles d’exhortation : « Depuis le jour où il planta et édifia son Eglise, le Seigneur l’a toujours dotée de saints personnages pour la faire grandir, par la parole et par l’exemple. Et dans ces derniers temps, il l’a illustrée par ce pauvre homme, humble et illettré. (Ce disant, il montrait du doigt François à tout le peuple). C’est pourquoi vous êtes tenus d’aimer, d’honorer le Seigneur, et de vous garder de tout péché, car il n’en a pas accordé autant à toutes les nations[3]. »

Puis l’évêque descendit de l’endroit d’où il avait parlé au peuple et entra, avec le bienheureux François, dans sa cathédrale. Alors le bienheureux s’inclina devant le seigneur évêque, puis se jeta à ses pieds et lui dit : « En vérité, seigneur évêque, je vous le dis : jamais homme ne m’a fait tant d’honneur en ce monde que vous aujourd’hui. Les autres hommes, en effet, disent : C’est un saint ! attribuant ainsi la gloire et la sainteté à une créature, non au Créateur. Vous, au contraire, en homme de jugement, vous avez su distinguer ce qui est vil et ce qui est précieux. »

 

  1. Quand on lui prodiguait les honneurs et que l’on proclamait sa sainteté, le bienheureux François répliquait souvent : « Je ne suis pas assuré de ne jamais avoir de fils et de filles ! » Et il ajoutait : « Si, à un moment donné, le Seigneur voulait m’enlever le trésor qu’il m’a confié[4], que me resterait-il ? Un corps et une âme ; les infidèles en ont autant. Et même je dois croire que, si un brigand ou un infidèle avaient reçu du Seigneur autant de grâces que moi, ils seraient plus fidèles à Dieu que je ne suis. »

Il disait encore: « Une peinture représentant Notre Seigneur ou la bienheureuse Vierge les honore et nous rappelle leur souvenir; cependant, le tableau ne s’attribue d’autre mérite que d’être ce qu’il est : du bois et de la couleur. Le serviteur de Dieu est comme une peinture : une créature de Dieu, par laquelle Dieu est honoré à cause de ses bienfaits. Il ne doit donc pas s’attribuer à lui-même plus de mérite que ne font le bois et la couleur. C’est à Dieu seul qu’il faut rendre honneur et gloire, et ne garder pour soi, tant que l’on vit, que honte et confusion, car tant que nous vivons, notre chair est toujours opposée à la grâce de Dieu[5]. »

 

  1. Le bienheureux François voulut rester humble parmi ses frères. Pour conserver une plus grande humilité, il résigna, peu d’années après sa conversion, sa charge de supérieur lors d’un chapitre tenu à Sainte-Marie de la Portioncule[6]. En présence de tous les frères, il parla ainsi :
    « A partir d’aujourd’hui, je suis mort pour vous. Mais voici frère Pierre de Catane à qui, vous et moi, nous obéirons tous. » Alors, tous les frères de gémir à haute voix et de verser d’abondantes larmes. Puis le bienheureux, s’inclinant devant le frère Pierre, lui promit respect et obéissance. Dès lors, il lui fut soumis jusqu’à sa mort, comme l’un quelconque des frères.

 

  1. Soumis au Ministre général, il voulut l’être aussi aux Ministres provinciaux : dans chacune des provinces où il séjournait ou qu’il parcourait pour prêcher, il obéissait au Ministre de cette province. Mieux encore : pour plus de perfection et d’humilité, il dit un jour, longtemps avant sa mort, au Ministre général : « Je veux avoir toujours près de moi l’un de mes compagnons qui représentera pour moi ton autorité et auquel j’obéirai comme à toi-même. Pour le bon exemple et par amour de la vertu d’obéissance, je veux que, pendant ma vie et à l’heure de ma mort, tu sois ainsi toujours auprès de moi. » Dès lors, et jusqu’à sa mort, il eut toujours pour gardien[7] un de ses compagnons auquel il obéissait comme au Ministre général.

Un jour il dit à ses compagnons : « Entre autres grâces, le Très-Haut m’a donné celle d’obéir aussi volontiers à un novice d’un jour, s’il était mon gardien, qu’au premier et au plus ancien religieux de l’Ordre. L’inférieur doit, en effet, voir dans son supérieur non pas l’homme, mais Dieu, pour l’amour duquel il se soumet. » Il disait encore : « Il n’y a pas de supérieur, dans le monde entier, qui serait craint de ses sujets et de ses frères autant que moi si Dieu le voulait. Mais le Très-Haut m’a fait la grâce de m’accommoder de tous comme le plus petit frère dans l’Ordre. »

Et nous avons vu bien souvent de nos yeux, nous qui avons vécu avec lui, que, fréquemment, comme il en témoigne lui-même, si quelque frère ne lui donnait pas ce dont il avait besoin ou prononçait une parole brutale, il se retirait aussitôt, il allait prier, et au retour il se gardait bien de revenir sur l’incident en disant : « Tel frère a négligé de me soigner ou m’a dit telle parole. » Plus il approchait de la mort, plus il était attentif à étudier la meilleure manière de vivre et de mourir en toute perfection, dans l’humilité et la pauvreté absolues.

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[1] 1 Reg 9 3. – Cf. Fior 25, note 1.

[2] 2 Reg 6 2 et 6.

[3] Ps 147 20.

[4] Allusion à la parabole des talents : Mt 25 15.

[5] Doctrine exposée avec vigueur dans les Admonitions 5 et 10.

[6] « Probablement le 29 septembre 1220 » (Cambell).

[7] Le terme de « gardien », désigne donc ici une autorité personnelle ; il Prendra plus tard un sens local de président et supérieur d’une fraternité.

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