FIORETTO 52

CHAPITRE 52

DE LA VISION DE FRÈRE JEAN DE L’ALVERNE, OÙ IL CONNUT TOUT L’ORDRE DE LA SAINTE TRINITÉ [1].

Le susdit frère Jean de l’Alverne, parce qu’il avait par­faitement renoncé à toute joie et consolation mondaine et temporelle, et qu’il avait mis en Dieu toute sa joie et toute son espérance, la divine bonté lui donnait de merveilleuses consolations et révélations, particulièrement aux fêtes solen­nelles du Christ ; ainsi, comme s’approchait une fois la solennité de la Nativité du Christ, en laquelle il attendait avec certitude des consolations de Dieu par la douce huma­nité de Jésus, l’Esprit-Saint lui mit dans l’âme si grand et si excessif amour et ferveur de la charité du Christ, par laquelle il s’était humilié à prendre notre humanité, qu’il lui semblait vraiment que l’âme lui fût arrachée du corps, et qu’elle brûlât comme une fournaise. Comme il ne pouvait supporter cette ardeur, il s’angoissait et se consumait tout entier, et il criait à haute voix, parce que par l’élan de l’Esprit-Saint et par la ferveur de l’amour il ne pouvait s’empêcher de crier. Et à cette heure où lui venait cette fer­veur démesurée, il lui venait avec elle l’espérance de son salut, si forte et si certaine qu’il ne croyait pas le moins du monde que, s’il venait à mourir alors, il dût passer par le purgatoire. Et cet amour lui dura bien une demi-année, encore que cette excessive ferveur il ne l’eût pas continuellement, mais qu’elle ne lui vînt qu’à certaines heures du jour.

Et en ce temps et depuis il reçut de nombreuses visites et consolations de Dieu ; et plusieurs fois il fut ravi en extase, comme le vit ce frère qui d’abord écrivit ces choses [2], parmi lesquelles, il fut une nuit si élevé et ravi en Dieu qu’il vit, en lui le Créateur, toutes les choses créées du ciel et de la terre, et toutes leurs perfections et degrés et ordres distincts. Et alors il connut clairement comment toute chose créée représentait son Créateur, et comment Dieu est au-dessus, au-dedans, en dehors et à coté de toutes les choses créées. Et il connut ensuite un seul Dieu en trois personnes et trois personnes en un seul Dieu, et l’infinie charité qui fit le Fils de Dieu s’incarner par obéissance au Père. Et finalement, il connut en cette vision comment il n’y avait point d’autre voie par laquelle l’âme pût aller à Dieu et avoir la vie éter­nelle, sinon par le Christ béni, qui est la voie, la vérité et la vie de l’âme [3]. Amen.

Chapitre 53

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[1] Actus, 51 ; titre : Comment frère Jean de l’Alverne fut ravi dans l’abîme de Dieu. La version des Fioretti est un peu abrégée.

[2] Texte des Actus : « Ainsi que je l’ai vu moi-même à plusieurs reprises sur la foi de mes yeux et que beaucoup d’autres l’ont constaté souvent. » L’auteur des Actus serait donc un témoin oculaire, et la traduction des Fioretti se contenterait de renvoyer à son témoignage. Toutefois, il y a lieu de remarquer que la phrase qui vient d’être citée manque dans le manuscrit de M. G.-A. Little.

[3] Jn 14 6.

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