FIORETTO 10

Chapitre 10

COMMENT FRÈRE MASSÉE DIT A SAINT FRANÇOIS, COMME EN PLAISANTANT, QUE TOUT LE MONDE COURAIT APRÈS LUI, ET COMMENT SAINT FRANÇOIS LUI RÉPONDIT QUE C’ÉTAIT POUR LA CONFUSION DU MONDE ET PAR LA GRÂCE DE DIEU [1].

 Saint François demeurait une fois au couvent de la Por­tioncule avec frère Massée de Marignan, homme de grande sainteté et sagesse, et doué de grâce pour parler de Dieu, ce pourquoi saint François l’aimait beaucoup ; un jour que saint François revenait du bois où il avait prié et qu’il était à l’orée du bois, ledit frère Massée voulut éprouver son humilité, alla à sa rencontre et lui dit comme en plaisan­tant : « Pourquoi à toi ? Pourquoi à toi ? Pourquoi à toi ? » Saint François répondit : « Qu’est-ce que tu veux dire ? » Frère Massée dit : « Je dis pourquoi tout le monde court-il après toi et pourquoi chacun semble-t-il dési­rer te voir, et t’entendre, et t’obéir ? De corps, tu n’es pas bel homme [2], tu n’as pas grande science, tu n’es pas noble ; d’où te vient-il donc que tout le monde court après toi ? » Entendant cela, saint François, tout réjoui en esprit, leva son visage vers le ciel et resta longtemps l’âme élevée vers Dieu ; puis, rentrant en lui-même, il s’agenouilla et rendit louange et grâce à Dieu ; et dans une grande ferveur d’esprit il se tourna ensuite vers frère Massée et dit : « Tu veux savoir pourquoi à moi ? Tu veux savoir pourquoi à moi ? Tu veux savoir pourquoi à moi, tout le monde me court après ? Cela je le tiens de ces yeux de Dieu très haut, qui en tous lieux contemplent les bons et les méchants : car ces yeux très saints n’ont vu parmi les pécheurs que moi ; et comme, pour faire l’œuvre merveilleuse qu’il entendait faire, il n’a pas trouvé sur la terre de plus vile créature, il m’a, pour cette raison, choisi pour confondre la noblesse et la grandeur et la force et la beauté et la science du monde, afin que l’on connaisse que toute vertu et tout bien viennent de lui et non de la créature, et que nul ne puisse se glorifier en sa présence, mais que quiconque se glorifie dans le Seigneur [3], à qui appartient tout honneur et gloire dans l’éternité. »

Alors frère Massée, à une si humble réponse, dite avec tant de ferveur, se troubla et reconnut avec certitude que saint François prenait appui sur la vraie humilité.

A la louange du Christ. Amen.

Chapitre 11

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[1] Actus, 10 ; titre : Comment frère Massée éprouva l’humilité de saint François. Sur frère Massée, voir chap. 11, n. 1.

[2] C’est aussi l’opinion de l’archidiacre Thomas de Spalato, qui entendit saint François prêcher à Bologne, en 1222 : « Son habit était malpropre, sa personne méprisable et son visage sans beauté », fades indecora. Cf. plus loin, Témoins et chroniqueurs du XIIIe s. Nous savons par Thomas de Celano que saint François était de petite taille. (1 C 83, et 2 C 18).

[3] Cf. 1 Co 1 27-31.

 

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