Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ crucifié et de sa Mère la Vierge Marie. Il y a dans ce livre certaines petites fleurs, miracles et pieux exemples du glorieux petit Pauvre du Christ Messire saint François et de quelques-uns de ses saints compagnons.
A la louange de Jésus-Christ. Amen [1].
CHAPITRE PREMIER
DES DOUZE PREMIERS COMPAGNONS DE SAINT-FRANÇOIS [2].
D’abord, il faut considérer que le glorieux Messire saint François, dans tous les actes de sa vie, fut conforme au Christ béni [3] : car, comme le Christ, au début de sa prédication appela douze apôtres à mépriser tout ce qui est du monde et à le suivre en pauvreté et dans les autres vertus, ainsi saint François, au début de la fondation de son Ordre, choisit douze compagnons qui embrassèrent la très haute pauvreté.
Et comme un des douze apôtres du Christ, réprouvé de Dieu, finalement se pendit par la gorge [4], ainsi un des douze compagnons de saint François, du nom de frère Jean de la Chapelle, apostasia et finalement se pendit lui-même par la gorge. Et ceci est pour les élus un grand exemple et un motif d’humilité et de crainte, lorsqu’ils considèrent que nul n’est assuré de devoir persévérer jusqu’à la fin dans la grâce de Dieu.
Et comme ces saints apôtres furent pour le monde entier admirables de sainteté et remplis de l’Esprit-Saint, ainsi ces très saints compagnons de saint François furent des hommes de telle sainteté que, depuis le temps des apôtres, le monde n’eut pas d’hommes aussi admirables et aussi saints : car l’un d’eux fut ravi jusqu’au troisième ciel comme saint Paul, et celui-là fut frère Gilles [5] ; un autre, frère Philippe le Long, fut touché aux lèvres par l’ange d’un charbon ardent, comme le prophète Isaïe [6] ; un autre, frère Sylvestre, parlait à Dieu, comme un ami à son ami, à la manière de Moïse [7] ; un autre volait par la subtilité de son intelligence jusqu’à la lumière de la divine Sagesse, comme l’aigle, c’est-à-dire comme Jean l’Evangéliste [8], et celui-là fut le très humble frère Bernard qui expliquait avec une très grande profondeur la sainte Ecriture ; un autre fut sanctifié par Dieu et canonisé dans le ciel alors qu’il vivait encore sur la terre, et celui-là fut frère Rufin, gentilhomme d’Assise [9].
Et ainsi ils reçurent tous le privilège de signes singuliers de sainteté, comme il se verra par la suite [10].
[1] Ce titre général est, sous une forme assez différente, celui du chapitre premier des Actus Beati Francisci et sociorum eius, qui correspond aux deux premiers chapitres des Fioretti ; titre des Actus : A la louange et gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ et du très saint père François. Ici sont écrits certains faits notables concernant le bienheureux François et ses compagnons, et aussi certains de leurs actes merveilleux, qui ont été passés sous silence dans les Légendes du Saint et qui sont cependant très utiles et très pieux. Il est bien probable qu’il faut entendre : « … qui ont été passés sous silence intentionnellement », et que le trait vise surtout saint Bonaventure.
[2] Actus, 1 1-9.
[3] L’idée de la conformité de saint François avec le Christ apparaît dès 1228 dans la Première Légende de Thomas de Celano, 84, 112 et 115. Elle a eu une très grande fortune dans la littérature franciscaine. Juste en ce qu’elle a d’essentiel, elle a abouti au traité volumineux, et assez indigeste, de Barthélemy de Pise, De Conformitate vitae Beati Francisci ad vitam Domini Iesu, de la fin du XIVe siècle.
[4] Judas. Mt 27 3-5.
[5] 2 Co 12 2-4. – Gilles, en latin : Aegidius, en italien : Egidio. Gilles est la traduction exacte.
[6] s 6 6-7.
[7] Exode, passim
[8] L’aigle est le symbole de saint Jean ; cf. Ez 1 5-11 ; Ap 4 6-8.
[9] Rufin ne fait pas partie du groupe des tout premiers compagnons de saint François ; il n’est entré dans l’Ordre qu’après le voyage de Rome dont il va être parlé ; cf. chap. 29, n. 2.
[10] Il ne sera question dans les Fioretti que de Bernard de Quintavalle, de Gilles, de Philippe le Long, d’Ange Tancrède et de Sylvestre. Lorsque saint François alla à Rome demander à Innocent III l’approbation de la Règle, il n’avait que onze compagnons : Bernard de Quintavalle, Pierre de Catane, Gilles, Sabbatino, Morico, Jean de la Chapelle, Philippe le Long, Jean de San Costanzo, Barbaro, Bernard de Vigilanzio et Ange Tancrède ; c’est du moins la liste la plus probable. Pour arriver au nombre de douze, non compris saint François, il faut ajouter Sylvestre, dont la conversion sera racontée au chapitre suivant, et qui ne se joignit très probablement aux autres frères qu’après le voyage de Rome ; il fut le premier prêtre de l’Ordre.