ANONYME DE PÉROUSE 8, 37-39

CHAPITRE VIII

 COMMENT IL PRESCRIVIT QUE L’ON TINT CHAPITRE

ET DE CE QUE L’ON Y TRAITAIT

37a. – A la Pentecôte, tous les frères se réunissaient en chapitre autour de la chapelle de Sainte-Marie de la Portioncule[1]. On y traitait de l’observance de la Règle et de comment mieux s’y conformer. On y répartissait aussi les frères entre les différentes contrées, en vue de la prédication au peuple et de l’implantation de la Fraternité dans celle à laquelle ils étaient destinés[2].

37b. – Pour sa part, saint François leur adressait exhortations ou semonces et promulguait des ordonnances, selon qu’il le jugeait à propos après en avoir consulté avec le Seigneur. Il mettait d’ailleurs tout son soin et son affection à leur illustrer d’abord par sa conduite tout ce qu’il enseignait dans ses discours.

37c. – Il révérait les prélats et les prêtres de la Sainte Eglise. Il manifestait également du respect aux seigneurs, aux nobles et aux riches. Quant aux pauvres, il avait pour eux un amour éperdu et faisait siennes leurs souffrances. En un mot, il se montrait le serviteur de tous[3].

37d. – Bien qu’il fût le plus insigne des frères, il nommait l’un de ceux qui vivaient avec lui comme son propre gardien et maître, et il lui obéissait humblement et ponctuellement, écartant ainsi toute tentation de se croire supérieur aux autres[4]. Saint comme il l’était, parmi les hommes il écrasait son front contre terre, et c’est pourquoi, dans le ciel, Dieu l’a élevé si haut parmi les bienheureux et les élus.

37e. – Il recommandait aux frères l’exacte observance du saint Evangile et de la Règle qu’ils avaient professée[5]. De façon très pressante il les engageait au respect des autorités et des ordonnances ecclésiastiques[6] ; à l’assistance fréquente et recueillie à la messe, et à y lever les yeux, au moment de l’élévation, vers le corps de notre Seigneur Jésus-Christ[7]. Il insistait aussi sur la vénération due aux prêtres, ministres d’un si auguste et vénérable sacrement[8] : partout où ils les rencontraient, les frères devaient s’incliner devant eux et leur baiser la main ; et si ces prêtres allaient à cheval, après s’être inclinés devant eux, les frères ne devaient pas se contenter de leur baiser la main, mais aussi les sabots de la monture, en témoignage de respect pour leur sacerdoce.

38a. – Il leur recommandait encore de ne juger ni mésestimer personne, même les plus raffinés du boire et du manger ou les plus recherchés dans leur mise. Il le fit même mentionner textuellement dans la Règle[9]. Et il y ajoutait ce commentaire : « Notre Seigneur est aussi leur Seigneur. Lui qui nous a appelés à la vie religieuse peut tout aussi bien les y appeler ; et s’il a bien voulu nous pardonner nos péchés, rien ne l’empêche de leur pardonner de même. »

38b. – « Pour ma part », disait-il, « je veux les aimer et les respecter comme mes frères et mes seigneurs : ils sont mes frères, puisque tous nous avons le même Créateur[10] ; et ils sont mes seigneurs, puisqu’en subvenant à nos besoins matériels ils nous permettent de vivre notre vie religieuse. » Et il concluait en exprimant ce vœu : « Puisse votre comportement dans le monde inciter tous ceux qui vous voient ou vous entendent, à louer et glorifier en chœur notre Père qui est dans les cieux ! »

38c. – Effectivement, il souhaitait avec ardeur que tout ce que lui et ses frères pussent faire, provoquât le prochain à rendre gloire à Dieu. Il leur disait : « La paix que vos bouches proclament, il vous faut d’abord et bien davantage l’avoir en vos cœurs : ainsi vous ne serez pour personne occasion de rancœur et de chute. Tout au contraire, votre paix et votre gentillesse ramèneront la paix et la tolérance parmi les hommes. Car c’est bien là notre vocation : soigner les plaies, réduire les fractures et ramener dans le droit chemin ceux qui s’en sont écartés. Il y a bien des gens que nous croyons des suppôts de Satan et qui pourtant seront un jour des disciples du Christ ! »

39a. – D’autre part, il reprochait aux frères leurs excessives pénitences. En ce temps-là, en effet, ils s’exténuaient à jeûner, à passer en veilles leurs nuits, à macérer leur chair, afin de réprimer en eux tout appétit des sens. Ils s’imposaient de si cruelles privations qu’on eût pu croire que chacun nourrissait pour lui-même une haine mortelle[11]. Témoin de ces excès, le bienheureux François les leur reprochait, comme je viens de le dire, et leur interdisait de s’y livrer. Il était si imprégné de la bonté et de la sagesse du Sauveur, qu’il savait conseiller avec affection, corriger avec bon sens et commander sans élever la voix.

39b. – Il ne venait à l’esprit d’aucun des frères réunis en chapitre d’engager des conversations sur les affaires de ce monde. Ils s’entretenaient des Vies des saints Pères, des vertus de tel ou tel de leurs frères, ou des moyens d’entrer davantage dans l’intimité de notre Seigneur[12].

39c. – Si l’un ou l’autre venait au chapitre tourmenté par quelque tentation de la chair ou du monde, ou par d’autres chagrins, il lui suffisait d’entendre le bienheureux François parler avec la ferveur et la douceur qu’il y mettait, il lui suffisait de le voir en chair et en os, pour que cessent aussitôt tous ses tourments. C’est qu’en effet il savait leur parler comme si lui-même ressentait leurs maux : il s’adressait à eux non comme un juge, mais comme un père à ses enfants, comme un médecin à ses malades. Si bien qu’en lui trouvait son accomplissement la parole de l’Apôtre : « Qui donc défaille sans que je défaille aussi ? Qui donc trébuche sans que je me ronge les sangs ? »[13].

Chapitre 9

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[1]    1 Reg 18/2.

[2]    Cf. 1 Reg 4/2.

[3]     Cf. 1 Reg 7/2, 16/6 Test 19

[4]    Test 27-28.

[5]    1 Reg 5/17, 24/1-4 2 Reg 12/4.

[6]    1 Reg 19/3 ; 2 Reg 12/4.

[7]    Cf. 3 Let 26-27 ; 1 Adm 14-21

[8]    Test 6-11 ; 1 Let 33.

[9]     1 Reg 11/7-12 ; 2 Reg 2/17.

[10]    1 Reg 22/33-34.

[11]    Cf. 1 Reg 22/5 ; 1 Let 37, 40.

[12]    Cf. 1 Reg 18/1.

[13]    2 Co 11/29.

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