CHAPITRE Il
DES DEUX PREMIERS FRÈRES QUI SUIVIRENT LE BIENHEUREUX FRANÇOIS
10a. – Témoins directs de tous ces faits, et touchés par le souffle divin de la grâce, deux hommes d’Assise se présentèrent humblement à lui. L’un d’eux fut le frère Bernard, et l’autre, le frère Pierre. Ils lui déclarèrent tout de go : « Dorénavant, nous voulons vivre avec toi et conformer notre vie à la tienne. Dis-nous donc ce que nous devons faire de nos biens. » Leur venue et leur décision lui causèrent une immense joie, et il leur répondit gentiment « Allons ensemble, et demandons conseil au Seigneur ! ».
10b. – Ils s’en furent donc à une église de la ville, y entrèrent, s’agenouillèrent et humblement récitèrent cette prière : « Seigneur Dieu, glorieux Père, nous te supplions qu’en vertu de ta miséricordieuse bonté tu veuilles bien nous montrer ce que nous devons faire. » Leur prière achevée, ils demandèrent au curé de la paroisse, qui précisément se trouvait dans l’église : « Monsieur, ayez l’obligeance de nous montrer l’Evangile de notre Seigneur Jésus-Christ. »
11a. – Le curé leur ouvrit le livre, car ils ne savaient pas encore bien s’y retrouver. Et ils trouvèrent à l’instant le texte où il est écrit : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. » Feuilletant à nouveau le livre, ils trouvèrent : « Si quelqu’un veut venir à ma suite », etc. Le feuilletant encore, ils s’arrêtèrent sur ce texte : « Ne prenez rien pour la route », etc.[1]. Ayant entendu ces paroles du Seigneur, ils furent transportés de joie et s’exclamèrent : « Voilà bien ce que nous désirions ! Voilà bien ce que nous cherchions » Et le bienheureux François ajouta : « Ce sera notre Règle[2]. » Puis il dit aux deux autres : « Allez, et suivez le conseil du Seigneur tel que vous venez de l’entendre. »
11b. – Le frère Bernard s’en fut donc, et, comme il était riche, il retira beaucoup d’argent de la vente de ses propriétés. Quant au frère Pierre, s’il était pauvre en biens matériels, il venait de gagner gros en richesses spirituelles. Lui aussi suit le conseil reçu du Seigneur. Et tous deux, convoquant les pauvres de la ville, se mettent à leur distribuer l’argent qu’ils avaient tiré de la vente de leurs biens.
12a. – Tandis qu’ils y étaient occupés, vint à passer par là un prêtre nommé Sylvestre. Le bienheureux François, qui assistait à la distribution, lui avait acheté des pierres pour la restauration de la chapelle de Saint-Damien où, d’ailleurs, il demeurait encore, jusqu’au jour où des frères se joignirent à lui.
12b. – Ce prêtre donc, les voyant ainsi jeter l’argent à pleines mains, brûlant de tous les feux de la cupidité, voulut lui aussi en avoir sa part. Il se mit à récriminer : « François, tu ne m’as pas complètement réglé les pierres que tu m’as achetées. » Devant cette réclamation mensongère, le bienheureux François qui, lui, s’était défait de tout amour du lucre, s’approcha du frère Bernard et mit la main dans la pèlerine où celui-ci avait mis en vrac son argent. Il en tira une pleine poignée de monnaies et les donna au prêtre. A nouveau il y mit la main et, comme la première fois, en sortit des pièces qu’il remit encore à ce prêtre en lui demandant : « Les pierres sont-elles complètement réglées à présent ? » – « Complètement », répondit l’autre, qui sur-le-champ s’en fut joyeux chez lui.
13a. – Quelques jours plus tard, sous l’inspiration divine, ce même prêtre se prit à réfléchir au geste du bienheureux François. Il se disait : « Misérable que je suis ! A mon âge, convoiter et courir après des biens périssables, alors que ce jeune homme, par amour pour Dieu, n’a pour eux que mépris et aversion ! »
13b. – Et voilà que, la nuit suivante, il vit en songe une immense croix dont le sommet touchait le ciel et dont le pied sortait de la bouche du bienheureux François. Et les bras de cette croix s’étendaient d’une extrémité à l’autre du monde.
13c. – A son réveil, ce prêtre fut convaincu de ce que le bienheureux François était incontestablement un ami de Dieu, et que l’Ordre qu’il venait de fonder allait couvrir le monde entier. Dès ce moment, la crainte de Dieu entra en lui et il se mit à faire pénitence en sa maison. Peu de temps après, il entra dans l’Ordre des frères où il vécut saintement et persévéra jusqu’à sa glorieuse mort[3].
[1] Mt 19/21 ; Mt 16/24 ; Lc 9/3.
[2] Cf. 1 Reg Pro l/2, 112-3, 2/4, 14/1 ; 2 Reg 1/ 1, 2,5, 12/4 ; Test 14.
[3] Il mourut à Assise, le 4 mars 1240.