VITA SECUNDA 5-6

CHAPITRE 2

 

COMMENT IL VÊTIT UN CHEVALIER PAUVRE, VISION DE SA VOCATION QU’IL PENSA DEVOIR S’ACCOMPLIR DANS LE SIÈCLE.

 

  1. François fut libéré peu après[1]. Il se montra plus aimable pour les indigents et prit la résolution de ne jamais rebuter ceux qui lui proposeraient l’amour de Dieu en échange de sa charité.

Il rencontra un jour un chevalier pauvre et quasi nu ; lui, était vêtu avec goût et raffinement ; ému de compassion, il donna généreusement ses habits pour l’amour du Christ. Fit-il moins, en l’occurrence, que le grand saint Martin ? La manière fut différente, mais l’intention fut identique, identique aussi sa réalisation : l’un donna ses habits avant ses biens, l’autre ses biens puis ses habits ; tous deux vécurent pauvres et humbles dans le monde, tous deux entrèrent riches au ciel[2]. Chevalier et pauvre, le premier donna à un pauvre la moitié de son manteau ; riche mais non chevalier, le second donna à un chevalier pauvre son manteau tout entier. Tous deux après avoir ainsi accompli le précepte du Christ, reçurent en songe la visite du Christ qui loua le premier pour sa générosité et encouragea le second à la poursuite de ce qui lui manquait encore.

  1. Peu de temps après, en effet, lui apparut un magnifique Palais où il put voir toutes sortes d’armes et une très belle fiancée. Il entendit une voix qui l’appelait par son nom et tâchait de le séduire en lui promettant tous ces biens. Il voulut, en conséquence, partir en expédition pour les Pouilles et embrasser la carrière des armes : il fit des préparatifs somptueux et avait grande hâte d’arriver aux honneurs et aux charges militaires. C’est que de la vision, son esprit encore charnel ne pouvait lui fournir qu’une interprétation charnelle ; tandis que la sagesse de Dieu tenait cachée dans ses trésors une réalisation cent fois plus glorieuse.

Une autre nuit, en effet, il s’entendit encore appeler pendant son sommeil ; une voix affectueuse lui demandait où il comptait partir ainsi. François expliqua ses projets : il partait faire la guerre dans les Pouilles. Mais la voix :

« De qui peux-tu attendre le plus, du maître ou du serviteur ?

– Du maître, répondit François.

– Pourquoi donc courir après le serviteur au lieu de chercher le maître ?

– Seigneur, dit François, que voulez-vous que je fasse ?

– Retourne au pays qui t’a vu naître ; c’est une réalisation spirituelle que de moi recevra ta vision. »

Déjà modèle d’obéissance, il n’attendit pas plus longtemps et revint, renonçant à sa volonté propre ; de Saul il était devenu Paul. Dans le coeur de Saul terrassé avaient jailli des paroles d’amour sous les rudes coups qui le frappaient[3].

François, lui, échangea l’armure de son corps contre celle de l’esprit ; au lieu de la gloire militaire, il reçut de Dieu son investiture[4].

Pour la stupeur de tous, il manifestait une allégresse vraiment insolite et disait qu’il deviendrait plus tard un grand prince.

Table des chapitres

 

[1] Sa captivité dura un an.

[2] Phrase empruntée à l’Office de saint Martin (répons VIII), lui-même tributaire de Sulpice Sévère (lettre 111, n°21); la liturgie elle aussi l’a appliquée à saint François dans le répons bref : Franciscus pauper et humilis caelum dives ingreditur.

[3] Verbera dura verba dulcia : double allitération, figure très recherchée et appréciée des connaisseurs qui « lisaient avec les oreilles ».

[4] Praesidatum : suzeraineté sur un territoire conquis.

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