VITA SECUNDA 35-36

CHAPITRE 7

 

COMMENT IL DÉLIVRA LES HABITANTS DE GRECCIO DES RAVAGES DE LA GRÊLE ET DES LOUPS.

  1. Le saint séjournait volontiers au couvent de Greccio, à la fois parce qu’il le voyait riche de pauvreté, et parce que dans une cellule construite au sommet d’un rocher, très à l’écart, il pouvait s’abandonner à la contemplation en toute liberté. C’est là aussi que, redevenu enfant avec lui, il avait naguère fêté la naissance de L’Enfant de Bethléem[1].

Or, il advint que la population subit calamité sur calamité : des loups dévorants venaient par bandes s’attaquer au bétail et aux hommes ; et la grêle ravageait tous les ans les moissons et les vignes. Le bienheureux François leur dit un jour dans un sermon : « Pour l’honneur et la louange du Dieu tout-puissant, écoutez la vérité que je vous annonce : je vous donne ma parole que tout fléau s’éloignera et que le Seigneur, vous regardant avec amour, vous enrichira de biens temporels si chacun d’entre vous confesse ses péchés et fait de dignes fruits de pénitence. Mais écoutez bien ceci encore : je vous préviens aussi que si, oublieux de ce bienfait, vous retournez à votre vomissement[2], le fléau reparaîtra, le châtiment sera deux fois plus lourd et la colère déferlera plus terrible sur vous. »

  1. Les mérites et les prières du bienheureux obtinrent la cessation des fléaux, les périls périrent[3], les loups et la grêle ne causèrent plus aucun ravage. Bien mieux : quand la grêle visitait les campagnes des alentours, et s’approchait de chez eux, elle s’arrêtait sur leurs confins ou prenait une autre direction.

Mais une fois hors de danger, ils devinrent trop riches et regorgèrent de biens ; la prospérité alors porta ses fruits accoutumés : leurs faces se capitonnèrent de graisse, et la panne ou plutôt la fiente des richesses les rendit aveugles[4]. Ils tombèrent finalement dans un état pire que le premier, ils oublièrent le Dieu qui les avait sauvés. Mais vint le châtiment, car les sanctions de la justice de Dieu sont plus sévères pour les récidivistes. La colère de Dieu s’enflamma contre eux, les fléaux qui s’étaient éloignés reparurent, une guerre couronna le tout, cependant qu’une épidémie envoyée par le ciel décimait la population ; finalement tout le bourg fut livré à l’incendie vengeur[5]. Il était juste qu’aboutît à pareille catastrophe pareil mépris pour les bienfaits reçus.

Table des chapitres

 

[1] Cf. 1 C 86.

[2] 2 P 2 22.

[3] L’allitération a meilleure allure dans le texte latin qu’en français. Elle est empruntée à un répons de l’Office de saint Antoine, le Si quaeris.

[4] Ces images évoquent aux familiers de la Bible le portrait du méchant, stéréotypé dans la littérature sapientielle, surtout dans le livre de Job et dans Ps 73 4-7 : le « méchant » est un égoïste qui « se fait du lard », sa tête est comparée à celle du porc, son regard est qualifié de bestial.

Quant à la mention de la fiente, dans le texte de Celano, c’est une allusion à l’histoire de Tobie.

[5] Nous savons par le chroniqueur Richard de Saint-Germain que Frédéric II assiégeant Rieti, place fidèle au pape, envoya « au mois de mai 1242 un capitaine du Royaume de Naples, André de Cicala, pour ravager entièrement la campagne environnant la ville ». MGH 19, 383. Or Greccio est à dix kilomètres de Rieti.

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