VITA SECUNDA 30

CHAPITRE 4

COMMENT IL PRÉDIT LE DÉSASTRE DE L’ARMÉE CHRÉTIENNE DEVANT DAMIETTE.

  1. Lors du siège de Damiette, le saint et ses compagnons se trouvaient avec l’armée chrétienne, car ils avaient passé la mer, si grand était leur désir d’être martyrisés[1].

Or, le saint apprit un jour que nos soldats s’apprêtaient à livrer bataille ; il en fut très peiné. « Si la rencontre a lieu aujourd’hui, dit-il à son compagnon, le Seigneur me révèle que ce ne sera pas à l’avantage des chrétiens. Mais si je le dis, je passerai pour un fou, et d’autre part si je me tais, la faute m’en pèsera sur la conscience. Que dois-je faire, à ton avis ? – Père, lui répondit son compagnon, n’attache aucune importance au jugement des hommes ; ce n’est pas d’aujourd’hui que tu passes pour un fou ; décharge ta conscience et crains plutôt Dieu que les hommes ! »

Le saint bondit aussitôt et prend à partie les chrétiens, les met en garde pour les sauver : il leur défend d’aller se battre, les informe du danger… Ils prirent pour sornettes ce qui n’était que trop vrai, endurcirent leurs cœurs et ne voulurent rien entendre. Ils prennent l’offensive, engagent le combat, luttent corps à corps avec l’ennemi. Tant que dura la bataille, François resta anxieux ; il demandait à son compagnon de se lever pour aller inspecter l’horizon ; une fois, deux fois : rien. Une troisième fois, il lui ordonna d’aller voir, et voici que toute l’armée chrétienne en déroute terminait la bataille dans la honte au lieu du triomphe escompté. Le désastre fut tel que notre armée perdit 6 000 hommes, tués ou prisonniers. Le saint avait pour eux beaucoup de pitié ; eux se repentaient bien d’avoir été incrédules. Il pleurait surtout les Espagnols, dont il voyait peu de survivants, si grande avait été leur fougue durant le combat[2].

Que les princes de la terre méditent cet exemple, et apprennent qu’on ne se révolte pas impunément contre Dieu, c’est-à-dire contre la volonté du Seigneur[3]. L’orgueil, d’ordinaire, conduit à la ruine : ne comptant que sur ses propres forces, il se prive des secours du ciel. Puisque c’est d’En-Haut que nous devons espérer la victoire, c’est aussi dans l’obéissance à l’Esprit de Dieu que doivent s’engager les combats.

Table des chapitres

[1] C’était le 19 août 1219. Cf. 1 C 57. Les frères Pierre de Catane et Illuminé accompagnaient saint François.

[2] Une bulle d’Honorius III du 15 mars 1219 vient confirmer le témoignage de Celano : elle concède à l’archevêque de Tolède le pouvoir de commuer en faveur de la croisade contre les Maures d’Espagne les voeux de ceux qui s’étaient engagés pour la croisade en Orient ; à l’exception des nobles et des chevaliers (Cf. R.P. Delorme, les Espagnols à la bataille de Damiette, AFH, XVI (1923), p. 245-246).

[3] Jacques de Vitry (Lettre 7) signale lui aussi la déchéance morale de l’armée des Croisés.

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