VITA SECUNDA 23-24

SA CONNAISSANCE DE L’AVENIR. COMMENT IL CONFIA SON ORDRE A L’ÉGLISE ROMAINE. UNE VISION.

 

  1. Le Père progressait en mérites et en vertu ; ses fils croissaient en nombre et en grâce et jusqu’aux extrémités du monde le tronc lançait des rameaux splendides aux fruits nombreux. Souvent le bienheureux se prenait à réfléchir, à se demander comment l’arbre qu’il avait tout récemment planté pourrait se conserver en vie et s’étendre tout en sauvegardant le lien de l’unité.

Il voyait aussi grandir le nombre des loups qui s’acharnaient sur son petit troupeau ; envieux invétérés, la seule vue d’une nouveauté dans le bien les poussait à nuire[1]. Le bienheureux prévoyait qu’entre ses fils eux-mêmes pouvaient naître des difficultés au détriment de la paix et de l’unité ; il tremblait à la pensée de voir se lever parmi eux, comme il arrive souvent parmi des êtres de choix, des récalcitrants obstinés dans leurs propres vues, prompts à la révolte et prêts à y entraîner les autres.

  1. Ces inquiétudes le travaillaient de plus en plus quand, une nuit, durant son sommeil, il eut une vision : une poule petite et noire, pas plus grosse qu’une colombe, aux pattes couvertes de plumes, avait d’innombrables poussins qui piaillaient sans cesse en tourbillonnant pour lui demander abri, mais elle ne parvenait pas à les réunir sous ses ailes. Au réveil, l’homme de Dieu reprit en son coeur le cours de ses méditations et, interprétant lui-même sa vision :

« Cette poule, dit-il, c’est moi avec ma petite taille et mon teint noir ; elle doit agir avec la simplicité de la colombe, c’est-à-dire avec innocence, et elle gagnera le ciel d’autant plus facilement qu’elle paraîtra moins dans le monde[2]. Les poussins sont mes frères nombreux et vertueux que mes pauvres forces ne suffisent pas à mettre à l’abri des calomnies et des persécutions.

J’irai donc et je les confierai à la sainte Eglise romaine : elle a puissance pour châtier nos ennemis et garantir ainsi aux enfants de Dieu la pleine liberté pour permettre à un plus grand nombre d’être sauvés. Les fils, pleins de reconnaissance pour les bienfaits de leur Mère, s’attacheront de tout leur coeur à suivre toujours ses traces sacrées[3]. Aucune attaque, d’autre part, ne viendra bouleverser l’Ordre sous sa protection et le fils de Bélial[4] ne pourra pas traverser impunément la vigne du Seigneur. Elle se fera gloire, elle qui est sainte, d’imiter notre sainte pauvreté, mais elle ne permettra pas que l’orgueil vienne assombrir de ses nuages l’humilité dont l’on nous fera compliment. Elle conservera sauf parmi nous le lien de la paix et de la charité, infligera aux dissidents des peines très sévères. La pureté évangélique saintement pratiquée fleurira continuellement sous nos yeux, et elle ne laissera pas se perdre, même une heure, le parfum de notre vie. »

Telles étaient les intentions du saint en confiant son Ordre à l’Eglise ; tels étaient les arguments que sa prescience lui fournissait, lui montrant combien pareille démarche était nécessaire pour l’avenir.

Table des chapitres

[1] Cf. 1 C 74.

[2] Réminiscence de Ps 54 7.

[3] Noter ici l’application à l’Église de la formule habituelle : suivre les traces du Christ.

[4] Bélial (littéralement le Vaurien) désigne le diable dans la littérature biblique (Dt 13 13 ; 1 S 2 12 ; 25 17). Celano s’inspire ici de 2 Co 6 16-18, où saint Paul rappelle que Dieu a promis sa protection contre Bélial.

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