LÉGENDE DE PÉROUSE 107-108

DERNIERE BENEDICTION A FRÈRE BERNARD

  1. Le jour où dame Jacqueline prépara le gâteau pour le bienheureux François, celui-ci se souvint de frère Bernard et dit à ses compagnons : « Ce gâteau ferait plaisir à frère Bernard. » Et s’adressant à l’un d’eux : « Va dire à frère Bernard de venir tout de suite ici. » Le frère partit aussitôt et amena auprès du bienheureux François le frère Bernard qui s’assit au pied du lit et dit : « Père, je te prie de me bénir et de me témoigner ton affection. Si tu me la manifestes avec une paternelle tendresse, je crois que les autres frères de l’Ordre et Dieu lui-même m’en aimeront davantage[1]. »

Le bienheureux François ne pouvait plus le voir, car depuis longtemps ses yeux avaient perdu la lumière. Il étendit la main et la posa sur la tête de frère Gilles, le troisième frère, qui se trouvait alors prés de frère Bernard, et c’est sur la tête de ce dernier que le Père croyait poser la main. Mais en tâtant, comme font les aveugles, la tête du frère Gilles, il reconnut son erreur, par la vertu de l’Esprit Saint, et dit : « Ce n’est pas le frère Bernard ! » Celui-ci se rapprocha du bienheureux qui posa sa main sur sa tête et le bénit. Puis il dit à l’un de ses compagnons : « Ecris ce que je vais dire. Le premier frère que m’ait donné le Seigneur fut le frère Bernard. C’est lui qui, tout d’abord, mit en pratique et accomplit à la lettre la perfection du saint Evangile, en distribuant tous ses biens aux pauvres. Pour cela et pour beaucoup d’autres mérites, je suis tenu de l’aimer plus qu’aucun autre frère de l’Ordre. Je veux donc et j’ordonne, autant qu’il est en mon pouvoir, que le Ministre général, quel qu’il soit, le chérisse et l’honore comme moi-même, que les Ministres provinciaux et les frères de tout l’Ordre le considèrent comme tenant ma place. » Ces paroles furent pour le frère Bernard et pour tous ceux qui se trouvaient là un sujet de grande consolation.

 

  1. Un jour, le bienheureux François, considérant la très haute perfection du frère Bernard, prophétisa à son sujet en ces termes devant plusieurs frères : « Je vous le dis : les plus forts et les plus subtils démons ont été envoyés au frère Bernard pour l’éprouver. Il sera accablé par eux de tourments et de tentations sans nombre. Mais le Seigneur, qui est bon, le délivrera, aux approches de la mort, de toute tentation et de toute épreuve intérieure et extérieure. Il établira son âme et son corps dans une telle paix, sérénité et consolation, que tous les frères qui en seront témoins ou qui l’entendront raconter, trouveront là un sujet de grande admiration et tiendront le fait pour miraculeux. C’est dans cette paix et consolation intérieure et extérieure qu’il quittera ce monde pour aller vers le Seigneur. »

Ces paroles furent pour tous ceux qui les avaient entendues un grand sujet d’admiration, car tout ce que le bienheureux avait prédit sous l’inspiration du Saint-Esprit se réalisa à la lettre et point par point. Prés de mourir, frère Bernard avait l’esprit si paisible et si tranquille qu’il ne voulait pas rester couché. S’il consentait, il demeurait presque assis, car il craignait que la moindre vapeur lui montant à la tête ne l’amenât à divaguer ou à rêver, détournant ainsi sa pensée de Dieu. Quand parfois cela lui arrivait, aussitôt il se relevait et se frappait en disant :

« Que s’est il passé ? Pourquoi ai-je pensé à cela ? » Pour le ranimer, on lui faisait respirer, comme c’est la coutume, de l’eau de rose. Mais proche de la mort il n’en voulait plus, car il était continuellement plongé dans la méditation de Dieu, et il disait à qui lui en offrait : « Ne me dérange pas ! » Aussi, voulant mourir détendu, paisible et serein, il s’en remit totalement du soin de son corps à un frère qui était médecin et qui le soignait. Il lui dit : « Je ne veux plus m’occuper du boire ni du manger ; je te confie ce soin. Si tu me donnes quelque chose, je le prendrai ; sinon, non. »

Du jour où il tomba malade, il voulut avoir à ses côtés, jusqu’à l’heure de sa mort, un frère prêtre. Et quand il lui arrivait d’avoir une pensée que lui reprochait sa conscience, il s’en confessait aussitôt et accusait sa faute. Après la mort, sa chair devint blanche et douce, et il semblait sourire. Il paraissait alors plus beau que durant sa vie, et ceux qui le contemplaient trouvaient plus de plaisir à le voir mort que vivant, car il leur apparaissait comme un saint au visage souriant.

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[1] Cette demande de Bernard n’est pas une démarche de grand enfant désirant être préféré. C’est une attitude de foi qui combine le désir d’une plus grande sainteté, et la conviction qu’une bénédiction est un signe efficace d’accroissement de grâce ; le tout a pour arrière-plan le souvenir des bénédictions solennelles des patriarches à leurs enfants (la cécité de François rend plus frappant encore le parallèle avec Jacob mourant, explicite en 1 C l08).

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