VITA SECUNDA 119-120

CHAPITRE 84

COMMENT IL FUT ROUÉ DE COUPS PAR LES DÉMONS. IL FAUT FUIR LES PALAIS DES GRANDS.

119. Non content de lui multiplier les tentations, Satan luttait parfois corps à corps avec lui. Le saint avait été un jour invité par le seigneur Léon, cardinal du titre de Sainte-Croix-en-Jérusalem, à demeurer un moment avec lui à Rome ; il se choisit pour demeure une tour située bien à l’écart, pourvue de neuf caves voûtées semblables à des cellules d’ermites. La première nuit, François, après avoir prié, se disposait à dormir quand survinrent des démons qui engagèrent avec lui une lutte furieuse ; ils le rouèrent de coups et le laissèrent finalement à demi-mort. Après leur départ et quand il eut retrouvé le souffle, le saint appela son compagnon qui dormait dans une cave voisine et lui dit : « Frère, reste près de moi, car j’ai peur de rester seul. Les démons sont venus me battre. » Il frissonnait et tremblait de tous ses membres, comme quelqu’un qui est pris d’une forte fièvre.

120. Ils passèrent toute la nuit sans dormir, et François dit à son compagnon : « Les démons sont les archers de notre Seigneur qui les utilise pour nous punir de nos excès. C’est, de sa part, le signe d’une grâce spéciale que de ne rien laisser impuni chez son serviteur durant cette vie. Pour moi, je ne me souviens pas d’avoir commis une faute que Dieu, dans sa miséricorde, ne m’ait permis d’expier ; il a toujours été pour moi assez bon, assez paternel pour me montrer, au cours de mes oraisons ou prières, en quoi j’avais pu lui plaire ou lui déplaire. S’il a permis, malgré cela, que ses gardes se soient rués sur moi, c’est peut-être que mon séjour dans le palais des grands est d’un mauvais exemple pour autrui. Mes frères qui logent dans de pauvres petits couvents, apprenant que je vis en compagnie de cardinaux, pourraient croire que je vis dans le bien-être et le confort. Il vaut mieux, je crois, que celui dont la vocation est de donner l’exemple1 fuie les palais et donne ainsi, en partageant leur situation, plus de courage à ceux qui ont à supporter les privations. » Au matin, ils s’en furent trouver le cardinal, lui racontèrent l’aventure et prirent congé.

Que cela serve à l’instruction des frères qui vivent dans les palais2 ; qu’ils sachent qu’ils ne valent guère plus, hors du couvent, que des avortons arrachés au sein maternel. Je ne condamne pas l’obéissance de ceux qu’on y envoie, mais je veux stigmatiser l’ambition, la paresse, la mollesse qui s’y donnent libre cours ; et je propose saint François comme exemple dans toutes les situations où nous place l’obéissance : abandonnons tout ce qui, trop cher aux hommes, déplaît à Dieu.

Table des chapitres

1,  2 C 188 ; Sp 81.

2 Ces « palatins » étaient des frères qui séjournaient dans les palais des prélats ou des nobles, à titre d’aumôniers, secrétaires, avocats ou même intendants et chanceliers. Fonctions interdites par la Règle (1 Reg 7). Frère Hugues de Digne disait au roi saint Louis (qui le pressait de suivre sa cour) : « Hors de son cloître, le religieux est comme le poisson hors de l’eau !».

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