Vita prima, Chapitre 6 n° 13-15

CHAPITRE 6

COMMENT SA MÈRE LUI RENDIT LA LIBERTÉ ET COMMENT IL SE DÉPOUILLA EN PRÉSENCE DE L’ÉVÊQUE D’ASSISE.

13.- Mais les affaires ne pouvaient rester en souffrance : le père dut s’absenter pour un temps et l’homme de Dieu resta lié dans son cachot. Sa mère, demeurée seule à la maison et qui désapprouvait les procédés de son mari, s’en vint tenir à son fils le langage de la tendresse. Mais elle s’aperçut que rien ne le ferait revenir sur sa décision ; alors son amour maternel fut plus fort qu’elle-même : elle lui brisa ses liens et le laissa partir. Il rendit grâces au Dieu tout-puissant et retourna sans perdre un instant à sa cachette précédente. L’expérience des premiers combats l’avait rendu plus fort : il s’accorde plus de liberté Ses multiples luttes avaient épanoui les traits de son visage les injures lui avaient conféré plus d’assurance et, l’âme dilatée, il se promenait à sa guise n’importe où.

Sur les entrefaites, le père rentra et, ne trouvant plus son fils, fit retomber sur sa femme toute sa colère, amoncelant ainsi péchés sur péchés. Puis, fou de rage et tout vociférant, il court jusqu’à la retraite de son fils, décidé à le faire expulser du territoire s’il ne veut pas changer d’avis. Mais celui qui craint le Seigneur est sûr de trouver en Lui la force ; et quand ce fils de la grâce entendit venir à lui son père selon la chair, joyeux, il se présenta de lui-même et proclama hardiment qu’il n’avait peur ni de ses chaînes ni de ses coups ; il se sentait prêt à supporter allègrement tous les maux pour le Christ.

14.- Définitivement impuissant à le détourner de la route où il s’était engagé, son père se rabattit sur l’argent et en exigea la restitution. L’homme de Dieu avait formé le dessein de consacrer toute la somme au secours des pauvres et à la réparation de l’église et de ses dépendances ; mais, détaché de l’argent, il ne se laissa pas séduire par le mirage d’une bonne action possible, et son désintéressement parfait le préserva de toute angoisse troublante à ce sujet. Il retrouva parmi la poussière, dans l’embrasure d’une fenêtre, la bourse qu’il y avait projetée en un geste d’extrême dédain pour les richesses du monde mais de suprême convoitise pour celles du ciel ; la fureur du père se calma quelque peu, et la récupération de l’argent fut comme une rosée qui rafraîchit la soif de son avarice. Puis il assigna son fils devant l’évêque d’Assise pour procéder entre les mains du prélat à la restitution complète et à la renonciation à tout bien. Loin d’y opposer quelque résistance, François, tout joyeux, se prêta volontiers à ce qu’on exigeait de lui.

15.- Amené en face de l’évêque, il n’attend pas, il ne barguigne pas : sans prononcer un mot et avant qu’on lui enjoigne quoi que ce soit, il ôte tous ses vêtements et les lance dans les bras de son père ; il ne garde même pas ses caleçons mais demeure complètement nu devant toute l’assistance. L’évêque, touché de ce courage et saisi d’admiration au spectacle d’une telle ferveur et force d’âme, se leva aussitôt, attira le jeune homme dans ses bras et le couvrit de son manteau. Il avait clairement conscience d’être là en présence d’une inspiration de Dieu, et il était persuadé que la scène dont il venait d’être le témoin possédait une signification surnaturelle et cachée . C’est pourquoi, à partir de ce moment, il se constitua son protecteur, lui prodigua encouragements et marques de tendresse, bref l’adopta et l’aima du plus profond de sa charité .

Notre athlète désormais va lutter nu contre son adversaire nu  ; dépouillé de tout ce qui appartient au monde, il ne s’occupe plus que de la justice à laquelle Dieu nous convie. Il s’appliquera si bien à mépriser sa propre vie sans aucune complaisance, que la paix sera, tout le long de sa route infestée d’ennemis, la compagne de sa pauvreté et que la cloison de sa chair sera le seul écran qui le séparera pour un temps de la vision de Dieu.

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