CHAPITRE 18
LE CHAR DE FEU, ET COMMENT SAINT FRANÇOIS, BIEN QU’ABSENT, RESTAIT EN RELATIONS AVEC SES FRÈRES.
47.- En ce temps-là, marchant avec simplicité sous le regard de Dieu et avec assurance devant les hommes, les frères méritèrent le joyeux réconfort d’une révélation divine. Une nuit en effet, alors qu’embrasés de l’Esprit-Saint ils chantaient le Notre Père, et que la supplication des voix s’harmonisait au jaillissement de la ferveur (ce qu’ils faisaient non seulement aux heures prévues mais à chaque instant, car ils étaient bien peu troublés par les soucis terrestres ou mordus par l’angoisse, l’inquiétude ou les tracas) saint François les quitta. Or voilà que vers minuit – quelques frères dormaient, les autres priaient avec ferveur dans le silence – un char de feu resplendissant fit son entrée par la petite porte, traversa la pièce puis revint ; il effectua cet aller-retour une deuxième, puis une troisième fois. Une grosse boule lumineuse semblable au soleil surmontait le char et illuminait la nuit. Ceux qui veillaient furent transis de stupeur, ceux qui dormaient s’éveillèrent, terrifiés, et cette clarté atteignait les cœurs aussi bien que les corps. Ils se réunirent pour se demander les uns aux autres quel était ce prodige, mais par la grâce puissante d’une telle lumière chacun voyait à découvert dans la conscience des autres.
Ils comprirent finalement que c’était l’âme de leur Père qui resplendissait d’un tel éclat, et que sa pureté non moins que l’amour toujours en éveil qu’il portait à ses fils lui avaient obtenu d’être ainsi favorisé et béni du Seigneur.
48. Ils eurent souvent la preuve et firent eux-mêmes l’expérience que leurs cœurs n’avaient point de secret pour le Père. Combien de fois, sans que personne l’eût renseigné, mais par l’inspiration du Saint-Esprit, ne lui arriva-t-il pas de connaître ce qu’on faisait en son absence, de mettre à jour ce qui était caché dans les cœurs, et de fouiller les consciences ! Combien de frères ne vint-il pas avertir en songe d’avoir à faire telle chose, à éviter telle autre ! Combien s’entendirent annoncer leurs malheurs alors qu’ils se trouvaient apparemment en pleine prospérité ! Il lui arriva de prévoir pour beaucoup la cessation d’une vie coupable, et d’annoncer que viendrait jusqu’à eux la grâce du salut.
Les purs et simples de cœur surtout méritaient le rare bonheur de le voir d’une manière inconnue des autres. Voici, entre beaucoup d’autres, un seul fait que je tiens de témoins dignes de foi. Frère Jean de Florence, nommé par saint François ministre des frères en Provence, les avait convoqués pour la célébration du chapitre . Le Seigneur ouvrit le chemin devant lui et rendit tous les frères dociles et attentifs à ses paroles. Parmi eux se trouvait un prêtre de grande réputation, de sainteté plus grande encore, Monaldo ; sa vertu avait l’humilité pour fondement, la prière fréquente pour appui et la patience pour bouclier.
Etait présent aussi à ce chapitre frère Antoine à qui le Seigneur avait accordé de comprendre les Ecritures et de prêcher le Christ à tout le peuple en discours savoureux. Or, tandis qu’il prêchait avec tout son cœur et toute sa foi sur le titre de la Croix : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs », le frère Monaldo dont il a été question plus haut tourna les yeux du côté de la porte et vit, à cet endroit, de ses yeux de chair, le bienheureux François soulevé dans les airs, les bras étendus en forme de croix et bénissant l’assemblée. Alors il regarda les frères : tous paraissaient remplis de la consolation de l’Esprit-Saint, et l’on devine aisément leur joie au récit de la vision et quand ils apprirent que leur très glorieux Père était là présent parmi eux.
49.- Qu’il ait connu les secrets des cœurs troublés , beaucoup ont pu en faire l’expérience, et j’avancerai entre beaucoup d’autres un témoignage qu’on ne peut révoquer en doute.
Un frère nommé Richer, noble de naissance mais de vie plus noble encore, plein d’amour pour Dieu et de mépris pour lui-même, désirait dans son cœur et voulait ardemment conquérir et garder l’entière faveur du Père saint François. Mais il se demandait avec crainte si le saint, à son insu n’avait pas de lui une opinion défavorable et ne le privait pas ainsi du bénéfice de son affection. En effet, pensait ce frère qui était très délicat, celui que François affectionne de son ardent amour est digne de la grâce divine ; celui-là par contre qui ne reçoit aucune marque de bienveillance ou d’amitié verra tomber sur lui la colère du Juge suprême. Et il ruminait ces pensées en lui-même, il se débattait intérieurement, sans révéler à personne son état d’âme.
50.- Or, le bienheureux Père était un jour dans sa cellule en train de prier, et le frère s’y présenta, toujours hanté par son idée fixe. Le saint eut connaissance et de son approche et de ses préoccupations. Il le fit appeler aussitôt et lui dit : « Ne te laisse troubler par aucune tentation, mon fils, ni torturer par aucune inquiétude, car tu m’es très cher ; et parmi tous ceux que j’aime particulièrement, tu es bien digne, sois-en sûr, de mon affection et de ma tendresse. Viens me voir quand tu voudras, en toute confiance, et parle-moi à cœur ouvert ! » Le frère, au comble de l’émerveillement, en conçut encore plus de vénération, et plus le saint lui témoignait sa faveur, plus il s’épanouissait librement dans la miséricorde de Dieu.
Que ton absence doit être pénible à supporter, Père saint, pour ceux qui n’ont plus l’espoir de trouver désormais sur terre un homme tel que toi ! Nous t’en supplions, intercède pour ceux que tu vois se rouler dans la boue funeste du péché. Tu étais habité par l’Esprit qui anime tous les justes, tu prévoyais l’avenir, tu connaissais le présent, et malgré cela, afin de mettre l’orgueil en fuite tu n’affichais que les dehors de la sainte simplicité… Mais revenons en arrière pour reprendre l’ordre historique.
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