SACRUM COMMERCIUM 59-63

DU FESTIN QUE FIT DAME PAUVRETÉ AVEC LES FRÈRES

 Après avoir tout préparé, ils insistèrent pour qu’elle partage leur repas :

– Montrez-moi d’abord, leur dit-elle, l’oratoire, le cloître, la salle du chapitre, le réfectoire et la cuisine, le dortoir, les étables, vos stalles travaillées, votre mobilier sculpté, et faites-moi visiter vos grands bâtiments. Je n’aperçois rien de tout cela, mais je vous vois gais, débordants de joie et de sérénité, comme si tout était conforme à vos désirs.

– Noble Dame, notre Reine, répondirent-ils, nous tes serviteurs sommes fatigués de cette longue route, et toi aussi tu dois être bien lasse. Commençons donc par nous restaurer, si tu le veux bien, ensuite nous exécuterons tes moindres désirs.

 C’est une excellente idée. Mais d’abord apportez donc de l’eau, voulez-vous, pour nous laver, et un essuie-mains.

Ils s’empressèrent et lui présentèrent quelque demi-vase de terre cuite : ils n’en avaient point d’entier qu’ils puissent remplir d’eau. Et tout en lui versant de l’eau sur les mains, ils regardaient de-ci de-là, en quête d’un essuie-mains. N’en trouvant pas, un frère lui présenta sa tunique. Elle accepta en remerciant, louant Dieu du fond du cœur de lui avoir donné de tels compagnons.

Ils la menèrent ensuite à la salle à manger. Elle eut beau examiner, elle ne vit rien d’autre que trois ou quatre morceaux de pain d’orge posés sur quelques poignées d’herbe. « Qui vit jamais pareille chose e? pensait-elle, stupéfaite. Béni sois-tu, Seigneur, mon Dieuf, qui prends soin de tous. Ce que l’on est capable de réaliser, on te le doit totalement, et tu as appris à ton peuple comment te plaire par une telle perfectiong. »

Chacun s’assit, et ensemble ils remercièrent Dieu pour tous ses bienfaits.

Dame Pauvreté demanda que l’on serve dans des assiettes les aliments cuits. Sur quoi l’on apporta une seule écuelle pleine d’eau froide pour y tremper chacun son pain, car il n’y avait là ni assiettes, ni plats chauds. Du moins aurait-on l’obligeance, suggéra-t-elle, de lui présenter quelques feuilles de salade assaisonnée ? Mais, n’ayant ni jardin ni jardinier, ils coururent à la forêt et cueillirent des herbes sauvages qu’ils posèrent devant elle.

– Auriez-vous un peu de sel pour assaisonner ces herbes qui sont amères ?

– Prends patience, répondirent-ils, que nous courions en ville et que nous t’en rapportions, s’il se trouve quelqu’un pour nous en donner.

– Apportez-moi donc un couteau, afin que je puisse éplucher ces herbes et couper ce pain, qui est dur et rassis.

– Excuse-nous, nous n’avons pas de ferblantier, pour nous fabriquer des couteaux. A l’avenir nous y pourvoirons, mais faute de couteaux, tu pourrais peut-être pour l’instant te servir de tes dents.

– Et du vin, en avez-vous ?

– Non, nous n’en avons pas. Car, aux origines, l’homme se nourrissait-il d’autre chose que de pain et d’eauh  ? Et puis il n’est pas convenable pour toi de boire du vin, car l’épouse du Christ doit le fuir comme un poison.

 Lorsqu’ils furent rassasiés, ils se sentirent plus joyeux de leur glorieuse pauvreté que s’ils avaient fait bombance, et ils bénirent le Seigneur qui leur avait fait une telle grâce.

Ils menèrent alors Dame Pauvreté se reposer, car elle était fatiguée. C’est à même la terre nue qu’elle s’étendit. Elle réclama un coussin pour oreiller ; ils lui apportèrent immédiatement une pierre et la lui placèrent sous la tête. Et elle s’endormit d’un bref et paisible sommeil.

A son lever, elle demanda qu’on lui montrât le cloître. Ils la menèrent sur une colline et lui firent admirer un panorama splendide.

– Madame, dirent-ils, voici notre cloître.

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e Is 51 9 et 66 8.

f 1 Ch 29 10.

g Sg 12 13 18-19.

h Si 29 28.

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