SACRUM COMMERCIUM 25-30

DAME PAUVRETÉ AU PARADIS

  1. « J’ai vécu un moment dans le Paradis de mon Dieuv, lorsque l’homme était nu. Que dis-je, je ne faisais qu’un avec l’homme nu. Avec lui je parcourais l’espace entier du paradis ; je ne craignais rien, j’étais confiante, je n’avais nul pressentiment, je pensais que notre commune existence durerait ainsi, pour toujours … N’avait-il pas été créé juste, bon et sage par le Très-Haut, et placé dans le lieu le plus beau et le plus délicieux qui fût ? J’étais comblée de bonheur ; et pour lui je n’étais que gaieté w , car, ne possédant rien, il devait tout à Dieu.
  2. « Hélas, s’en vint l’ennemi funeste, dont l’homme n’avait jamais entendu parler jusque là. Privé autrefois de sa gloire et de sa sagesse et chassé du ciel, il entra dans le serpent et s’attaqua à l’homme, comptant bien le rendre, comme lui, transgresseur du commandement de Dieu. Il prêta l’oreille, le malheureux, à ce mauvais conseiller, se rangea à son avis, oublia Dieu son créateurx, et imita le père des révoltés. Il était nu au départ et n’en rougissait point y car il n’était qu’innocence. Mais devenu pécheur, il prit conscience de sa nudité et la honte le fit courir à la recherche de quelques feuilles de figuier dont il se fit une ceinturez.
  3. « Voyant donc mon compagnon devenu désobéissant et couvert, faute de mieux, de quelques feuilles, je m’écartais de lui et, restant à distance, le visage en larmes, je le regardai. J’attendais celui qui me sauverait de la panique dans un tel naufrages a . Soudain, voici que, du ciel, un fracas épouvantable b ébranla tout le Paradis, accompagné d’une lueur étincelante. Me retournant, je vis la majesté de Dieu, parcourant le Paradis. C’était environ la sixième heurec. L’éclat de sa gloire était extraordinaire. Il était accompagné d’une foule d’anges qui l’acclamaient en chantant : « Saint, Saint, Saint, Dieu de l’univers ! Toute la terre est remplie de ta gloire d! » Des milliers et des milliers étaient à son service, et des centaines de millions se tenaient à ses côtése.
  4. « Toute blême, frissonnante de sueur, et comme paralysée d’effroi, le cœur battant à tout rompre, je crus défaillir, je l’avoue. Du plus profond de moi-même, je me pris à supplier f: « Pitié, Seigneur, pitié ! N’entre pas en jugement avec ton serviteur: nulle créature, devant toi, ne saurait être trouvée justeg. » – « Va, me dit-il, cache-toi un moment, le temps que passe ma colère h » Et, sans plus attendre, il appela mon compagnon : « Adam, où es-tu? » Et Adam répondit : « J’ai entendu ta voix, Seigneur, mais j’ai eu peur parce que j’étais nu, et je me suis caché i ».

« Nu, oui, il l’était vraiment, et il figurait celui qui, descendant de Jérusalem à Jéricho, tomba aux mains de brigands j : il se vit dépouillé avant tout de sa perfection originelle, la ressemblance avec son créateur.

« Or, le Très-Haut, aussi miséricordieux que souverain Roi, attendit qu’il regrettât sa faute, lui laissant la possibilité de revenir demander son pardon.

  1.  « Mais le malheureux préféra se retrancher derrière les faux-fuyants, et justifier sa conduite par l’excusek. Ce qui ne fit qu’aggraver son cas et accumuler sur sa tête la juste colère du souverain Jugel. Dieu ne l’épargna point, ni lui ni sa descendance, les englobant tous dans la terrible malédiction de la mort. En un jugement solennel, entouré de milliers d’assesseurs, il le chassa du Paradism. La sentence était juste. Et pourtant toute tempérée de pitié, car il lui annonça son retour. Dieu lui confectionna un vêtement de peaux n , en signe de sa condition mortelle, puisqu’il avait perdu son habit d’innocence.
  2. « Et moi, voyant ainsi mon ami revêtu de peaux mortes, je le quittai définitivement, car il n’avait plus maintenant qu’une hantise : multiplier travaux et fatigues pour s’enrichir. Je parcourus le monde, traînant ma peine en pleurant, vagabonde et fugitive, et depuis lors je n’ai point trouvé d’asile. Abraham, Isaac, Jacob et les autres reçurent la promesse d’une terre florissante où couleraient le lait et le mielo. Parmi eux je croyais pouvoir me fixer, mais je ne trouvai point le havre du repos p: car un chérubin, à l’épée de feu menaçante, interdisait l’entrée du Paradis, attendant que du sein du Père descendît le Très-Haut.

Retour au sommaire

 

 

v Ap 2 7.

w Pr 8 30.

x Dt 32 18.

y Gn 2 25.

z Gn 3 7.

a Ps 54 9.

b Ac 2 2.

c Gn 3 8.

d Is 6 3.

e Dn 7 10.

f Ps 129 1.

g Ps 142 2.

i Gn 3 9-10.

j Lc 10 30

k Ps 140 4.

l Rm 2 5.

m Gn 3 23 et 19.

n Gn 3 21.

o Ex 3 17.

p Si 24 11.

Les commentaires sont fermés