CHAPITRE 8 : LES ÉLANS[1] DE SA PIÉTÉ. COMMENT LES CRÉATURES SANS RAISON SEMBLAIENT S’INGÉNIER À LUI FAIRE PLAISIR.
- La vraie piété qui, selon l’Apôtre, est utile à tout[2], avait tellement rempli et tellement imprégné le cœur de François qu’elle semblait avoir pris possession de l’homme de Dieu tout entier. D’où la dévotion qui le faisait remonter jusqu’à Dieu, la compassion qui faisait de lui un autre Christ, la prévenance qui l’inclinait vers le prochain, et avec chacune des créatures une amitié rappelant notre primitif état d’innocence. Mais bien qu’il fût spontanément attiré par toutes les créatures, son cœur le portait spécialement vers les âmes rachetées par le sang précieux du Christ Jésus, et lorsqu’il y remarquait la souillure de quelque péché, il pleurait leur malheur avec une tendresse si pathétique qu’il les enfantait chaque jour, comme une mère[3], dans le Christ. S’il avait une telle vénération pour les prédicateurs, ministres de la parole de Dieu, c’est surtout parce qu’ils suscitent à leur frère mort[4], à Jésus-Christ crucifié pour les pécheurs, des enfants[5] que leur zèle et leur activité convertissent et dirigent ; et il disait que ce ministère de miséricorde est bien plus agréable[6] au Père de toutes les miséricordes que n’importe quel sacrifice[7], surtout si l’on s’en acquitte en esprit de parfaite charité, en y travaillant par l’exemple plus que par la parole, par la prière et les larmes plus que par d’abondants discours.
- « Il faut donc plaindre comme dénués de piété authentique, disait-il, ce prédicateur qui dans ses sermons cherche non point le salut des âmes mais sa propre gloire, ou cet autre qui détruit par une conduite scandaleuse ce qu’avait construit son enseignement de la vérité. Un frère simple et sans éloquence est bien préférable si, par son exemple, il porte les autres au bien. » Voici comment il interprétait le verset : « Celle qui était stérile a eu beaucoup d’enfants, et celle qui avait de nombreux fils s’est vue abandonnée[8]» : « La femme stérile, c’est le pauvre petit frère qui n’a pas la mission d’engendrer des enfants à l’Église ; mais on verra, au jour du Jugement, qu’il est devenu la mère de nombreux fils, car le Juge alors lui attribuera pour sa gloire tous ceux qu’il convertit au Christ par ses prières que personne ne voit. Et celle qui avait de nombreux fils se verra sans appui, car le prédicateur vain et bavard qui croit avoir engendré de nombreux enfants par sa vertu constatera alors que rien chez eux ne vient de lui. »
- Quand on sait avec quelle ardeur il désirait le salut des âmes et avec quel zèle il y travaillait, on comprend qu’il ait pu se dire envahi de délicieux parfums[9] et oint de baume précieux[10] lorsque la renommée de ses saints frères dispersés de par le monde venait lui apporter, telle une suave odeur, la nouvelle que beaucoup d’âmes prenaient le chemin de la vérité. Il exultait alors et comblait de ses bénédictions si précieuses ces frères dont l’exemple et la parole amenaient les pécheurs à l’amour du Christ. Par contre il avait cette terrible malédiction à l’adresse de ceux dont la conduite dépravée portait atteinte à la sainteté de l’Ordre : « De toi, très saint Seigneur, et de toute la cour céleste, et de moi ton petit pauvre, qu’ils soient maudits ceux qui par leur mauvais exemple renversent et détruisent ce que tu as édifié et ne cesses d’édifier par les saints frères de cet Ordre[11]! » Le scandale donné aux faibles lui portait un tel coup que seul le soutien de la consolation divine lui évitait la défaillance. Un jour, la vue de mauvais exemples l’avait bouleversé et, tout anxieux, il priait pour ses fils le Père miséricordieux ; il reçut du Seigneur cette réponse : « Pourquoi, pauvre petit homme, être ainsi troublé ? Est-ce que le pouvoir que je t’ai donné sur mon Ordre t’aurait fait oublier que j’en suis le principal protecteur ? Si je t’ai choisi, toi un homme simple, c’est pour que tout ce que j’accomplirai en toi ne soit pas attribué au travail de l’homme mais à la grâce d’En-Haut. C’est moi qui ai appelé, c’est moi qui soutiendrai et qui ferai grandir ; pour remplacer ceux qui tombent j’en appellerai d’autres ; au besoin j’en ferai naître ; et que n’importe quel assaut vienne secouer mon Ordre de petits pauvres : ma faveur lui est acquise, il subsistera toujours[12].
- Il fuyait à l’égal d’une morsure de serpent ou d’une redoutable épidémie la médisance, mortelle pour la piété et la grâce, objet d’abomination pour le Dieu très bon, disait-il, car le médisant se repaît du sang des âmes qu’il a tuées de sa langue comme d’une épée[13]. Il entendit un jour un frère noircir la réputation d’un autre[14]; il se tourna vers son vicaire et lui dit : « Vite, vite ! Va-t-en faire une enquête soigneuse. Et si tu constates que le frère accusé est innocent, impose à son accusateur un châtiment exemplaire ! » A son avis, celui qui avait dépouillé un frère de sa réputation devait être lui-même dépouillé de l’habit avec interdiction de lever les yeux vers le ciel[15] tant qu’il n’aurait pas essayé, selon son pouvoir, de restituer ce qu’il avait volé[16]. « Et la médisance est un péché encore plus grand que le vol, disait-il, car la loi du Christ qu’on accomplit par amour nous oblige à désirer le salut des âmes plus que celui des corps. »
- Ce qui ne l’empêchait pas de témoigner une compassion et une tendresse admirables à ceux qu’il voyait affligés de quelque souffrance corporelle, et de mettre toute sa délicatesse et sa douceur à décharger dans le Christ les fardeaux de misère et de détresse qu’il rencontrait dans une âme. La charité du Christ, infuse en son âme, y avait multiplié la bonté innée ; son cœur se fondait de pitié à la vue des pauvres et des malades, et quand il ne pouvait matériellement venir à leur secours il tâchait au moins de leur témoigner son amour. Il entendit un jour un frère malmener un mendiant importun ; frère aimant de tous les pauvres, il ordonna au frère : « Quitte ton habit, jette-toi aux pieds de ce pauvre, reconnais publiquement ta faute, demande-lui pardon, et dis-lui de prier pour toi ! » L’autre obéit avec humilité, et le Père lui dit alors avec bonté : « Quand tu vois un pauvre, frère, c’est l’image du Seigneur et de sa pauvre Mère que tu as devant les yeux. Et chez les malades contemple aussi toutes les misères dont il s’est voulu charger. » Et parce qu’en vrai chrétien il voyait en tous les pauvres la ressemblance du Christ, non seulement il donnait de grand cœur au premier venu les aumônes qu’il avait reçues, quitte à se passer même du nécessaire, mais il appelait cela faire une restitution, comme s’ils en avaient été les propriétaires.
Ainsi, revenant un jour de Sienne, il rencontra un pauvre ; lui-même, à cause de sa maladie, portait en plus de l’habit un petit manteau. Il vit la misère du pauvre et n’y put tenir : « Il faut, dit-il à son compagnon, que nous rendions à ce pauvre son manteau, car il lui appartient. On nous l’a prêté jusqu’à rencontre d’un plus pauvre que nous. » Mais son compagnon savait ce qu’exigeait l’état du Père et s’opposait obstinément à ce qu’il secourût autrui à ses dépens. Mais lui : « Ma conviction est que le Grand Aumônier me reprocherait comme un vol de ne pas donner ce que je porte, à quelqu’un qui en a plus besoin que moi. » D’ailleurs, lorsqu’on lui offrait quelque chose pour sa santé, il demandait habituellement au donateur la permission d’en faire cadeau à son tour s’il rencontrait plus indigent que lui. Tout y passait : manteaux, tuniques, livres, nappes d’autel ou tapis, tant qu’il y avait une aumône à faire aux pauvres, afin de remplir le devoir de la charité. Il lui arriva aussi plus d’une fois de charger sur ses pauvres épaules les fardeaux portés par des pauvres rencontrés sur le chemin[17]
- À force de remonter à l’Origine première de toutes choses, il avait conçu pour elles toutes, une amitié débordante et appelait frères et sœurs les créatures même les plus petites, car il savait qu’elles et lui procédaient du même et unique principe[18]. Il était enclin cependant à plus de tendresse et de douceur pour celles qui par leur nature ou par l’enseignement symbolique de l’Écriture nous rappellent l’amour et la douceur du Christ. Il racheta souvent des agneaux que l’on menait abattre[19], en souvenir de l’Agneau très doux qui voulut être mené à la mort pour racheter les pécheurs. Il advint, une nuit qu’il était hébergé au monastère de Saint-Vergoin, dans le diocèse de Gubbio, qu’une brebis eut un agneau. Mais une truie méchante se trouvait dans l’étable ; sans pitié pour l’innocent, elle le tua sauvagement et le dévora. Quand il l’apprit, le pieux Père, très ému et se souvenant de l’Agneau sans tache, pleura devant tous la mort du petit agneau : « Hélas ! frère agnelet, créature innocente qui rappelles le Christ aux hommes, maudite soit l’impie qui t’a tué ! Que personne, homme ni bête, ne mange jamais de sa chair ! » Merveille : aussitôt la truie malfaisante commença d’être malade ; après avoir purgé pour ainsi dire sa peine durant trois jours elle reçut enfin son dernier châtiment et creva. On la bascula dans un fossé du monastère où elle demeura longtemps, sèche comme une planche, et personne n’y trouva de quoi apaiser sa faim. Que les hommes sans cœur prennent donc bien garde au châtiment qui les attend, puisque la cruauté d’une bête fut déjà punie d’une mort si affreuse ; et que les chrétiens pieux considèrent la puissance admirable et la délicatesse infinie d’une bonté, que les bêtes elles-mêmes reconnaissaient à leur manière[20].
- Un jour qu’il voyageait dans les environs de Sienne, il rencontra dans les prés un important troupeau de moutons. Il les avait à peine salués avec sa bonté coutumière, que tous s’arrêtèrent de brouter et coururent vers lui, levant la tête et le fixant des yeux. Ils lui firent une telle fête que les bergers et les frères restèrent ébahis de les voir si joyeux, des agneaux jusqu’aux béliers. – A Sainte-Marie de la Portioncule, on offrit un jour à l’homme de Dieu une brebis qu’il accepta volontiers, tant il aimait l’innocence et la simplicité que ces animaux manifestent spontanément. Le saint lui faisait ses recommandations : être attentive aux louanges divines, se garder de nuire aux frères si peu que ce fût… Et elle, sensible à l’affection de l’homme de Dieu, mettait toute sa bonne volonté à s’y conformer. Quand elle entendait le chant des frères au chœur, elle entrait elle aussi dans l’église, fléchissait les genoux sans que personne l’y eût initiée et, en guise de salutation, poussait quelques bêlements devant l’autel de la Vierge, la Mère de l’Agneau. Bien mieux : quand au cours de la messe on élevait le très saint Corps du Christ, elle se prosternait, comme pour stigmatiser par l’exemple de son respect la négligence des distraits et pousser les attentifs à plus de vénération pour ce sacrement. – Il avait un moment gardé avec lui à Rome un petit agneau, en souvenir du très doux Agneau ; à son départ, il en confia la garde à une noble dame nommée Jacqueline de Settesoli. L’agneau, comme instruit par le saint des choses spirituelles, restait inséparablement attaché à cette dame, la suivait à l’église, y restait avec elle, revenait avec elle. Si elle était un peu paresseuse à sortir du lit le matin, il venait la relancer en la frappant de ses petites cornes et la réveillait de ses bêlements, la pressant par ses mouvements et ses gestes de partir promptement pour l’église. C’est pourquoi cette dame prenait soin de son agneau aimable et merveilleux, disciple de François, qui était alors passé maître en dévotion.
- Une autre fois, à Greccio, on offrit à l’homme de Dieu un levraut vivant qui, placé à terre et libre de s’enfuir où il voulait, se précipita à l’appel du doux Père et vint se blottir dans son sein. François le caressa tendrement et affectueusement, lui témoigna une affection quasi maternelle, puis le sermonna gentiment pour lui recommander de ne plus se laisser prendre, et lui permit de repartir en liberté. Mais on avait beau le mettre à terre pour qu’il s’enfuît, toujours il revenait au Père comme si un secret instinct l’eût averti de la bonté de son cœur ; enfin, sur ordre du Père, les frères l’emmenèrent en des endroits plus éloignés et plus sûrs. Même scène un jour dans une île du lac de Pérouse : un lièvre avait été capturé et offert à l’homme de Dieu, dans les bras duquel il se réfugiait avec autant de confiance qu’un animal apprivoisé, et pourtant il fuyait à l’approche de tout autre. – Un pêcheur qui lui faisait traverser le lac de Rieti pour aller à Greccio[21] lui fit présent d’une poule d’eau, en témoignage d’affection. Il l’accepta volontiers puis, ouvrant les mains, l’invita à reprendre sa liberté ; mais elle n’entendait point partir. Le Père, les yeux au ciel, resta longtemps en prière et au bout d’une heure, comme s’il revenait de loin, redonna doucement à l’oiseau l’ordre de s’en aller et de louer le Seigneur. Ayant obtenu son congé avec une bénédiction, elle prit son essor, exprimant bien sa joie par ses ébats. Sur le même lac on lui offrit un magnifique poisson encore vivant ; il l’appela « frère », comme il faisait d’habitude, et le remit dans l’eau près de la barque. Mais le poisson continua de frétiller joyeusement dans l’eau à la vue de l’homme de Dieu, comme s’il était sous le charme de son amour, et ne s’éloigna du bateau qu’il n’eût reçu la permission et la bénédiction du saint.
- Traversant, un autre jour, les marais de Venise[22] en compagnie d’un frère, il avisa toute une bande d’oiseaux logés dans les saules et chantant à tue-tête. A ce spectacle, il dit à son compagnon : « Nos frères les oiseaux louent leur créateur ; allons parmi eux pour chanter nous aussi nos heures canoniales et les laudes du Seigneur ! » Ils s’avancèrent au milieu des oiseaux : pas un ne s’effaroucha. Mais leur ramage devint assourdissant, au point que les frères ne s’entendaient plus l’un l’autre réciter les psaumes. Alors le saint se tourna vers eux et leur dit : « Mes frères les oiseaux, veuillez cesser vos chants jusqu’à ce que nous ayons rendu à Dieu les louanges qui lui sont dues. » Ils se turent aussitôt et se tinrent en silence tant qu’il fallut, jusqu’à la fin de l’office et des laudes qui prennent bien du temps[23]; ils obtinrent ensuite du saint la permission de chanter et reprirent aussitôt leur babil accoutumé.
Une cigale, à Sainte-Marie de Portioncule, avait élu domicile sur un figuier près de la cellule de l’homme de Dieu ; son chant portait souvent à louer Dieu, le saint qui avait appris à admirer dans les plus petites choses la grandeur du Créateur. Il l’appela un jour, et elle, comme stylée par Dieu, vint atterrir sur sa main ; il lui dit : « Chante, ma sœur cigale, et loue par tes stridulations joyeuses le Seigneur qui te créa ! » Obéissant aussitôt elle se mit à chanter et ne s’arrêta que pour s’en retourner à son arbre, sur l’ordre du Père. Elle y demeura huit jours, venant, chantant et repartant au gré du saint qui dit enfin à ses compagnons : « Donnons congé à notre sœur cigale : elle nous a suffisamment réjouis de son chant et provoqués huit jours durant à louer Dieu. » Congédiée aussitôt, elle partit et ne revint jamais, comme si elle eût craint de désobéir, si légèrement que ce fût.
- Le saint était malade à Sienne[24], un gentilhomme lui fit porter un faisan vivant qu’il venait de prendre, et l’oiseau, dès qu’il l’eut vu et entendu, s’attacha à lui avec tant d’affection qu’il ne voulait plus en être séparé. Plusieurs fois transporté loin du couvent, dans une vigne, pour qu’il s’en allât s’il en avait envie, il revenait toujours à tire d’aile vers le Père comme s’il avait depuis toujours été nourri de sa main. Confié plus tard à un homme[25] qui venait souvent visiter par dévotion le serviteur de Dieu, mais comme attristé d’être ainsi séparé du Père au cœur aimant, il refusa obstinément toute nourriture. Rapporté au serviteur de Dieu, il se livra, en le voyant, à de remuantes démonstrations de joie et mangea avec avidité. Le saint venait d’arriver un jour à l’ermitage de l’Alverne pour y jeûner un carême en l’honneur de saint Michel Archange, et voici que les oiseaux de toute espèce s’en vinrent voltiger autour de sa cellule, comme pour manifester par leurs cris et leurs virevoltes leur joie de sa venue, le séduire et l’engager à rester. A cette vue, il dit à son compagnon : « Je me rends compte, frère, que la volonté de Dieu est que nous séjournions ici un moment, tant nos frères les oiseaux semblent charmés de notre arrivée. »
Au cours de ce séjour, un faucon nichant là conclut avec lui un pacte d’amitié : la nuit, quand venait l’heure où le saint avait coutume de se lever pour réciter l’office divin, il le prévenait en chantant et en criant. Le serviteur de Dieu lui en était très reconnaissant, car cette sollicitude l’arrachait à l’engourdissement du sommeil. Mais quand le serviteur du Christ souffrait davantage, le faucon plein de ménagements se gardait bien de lui sonner si tôt le réveil et, vers l’aurore seulement, comme s’il avait reçu les instructions de Dieu, tintait à coups sourds la cloche de sa voix. L’allégresse de tout ce petit peuple volant aussi bien que le chant du faucon étaient assurément le présage divin de l’élévation qu’en ce lieu même, peu après, l’apparition du séraphin[26] devait conférer au chantre et à l’adorateur de Dieu déjà emporté sur les ailes de la contemplation.
- Pendant un séjour qu’il fit à l’ermitage de Greccio, les habitants de la contrée subissaient désastre sur désastre des bandes de loups féroces, qui s’en prenaient non seulement au bétail mais encore aux hommes ; la grêle qui ravageait tous les ans les moissons et les vignes. Les voyant si affligés, le héraut du saint Évangile leur dit un jour dans un sermon : « Pour l’honneur et la louange du Dieu tout-puissant, je vous promets que le fléau s’éloignera et que Dieu, vous regardant avec amour, vous enrichira de biens temporels si, me faisant confiance, vous vous repentez, si vous avouez vos fautes et si vous faites de dignes fruits de pénitence[27]. Je dois vous annoncer cependant que si, oublieux de ce bienfait, vous retournez à votre vomissement[28], le fléau reparaîtra, le châtiment doublera et la colère déferlera plus terrible sur vous[29]. » Ils firent pénitence, conformément aux exhortations de François, et à partir de ce moment les fléaux disparurent, les périls périrent[30], les loups et la grêle cessèrent leurs ravages. Bien mieux quand la grêle visitait les campagnes des alentours et s’approchait de leur région, elle s’arrêtait sur leurs confins ou prenait une autre direction. Les loups et la grêle respectèrent le traité du serviteur de Dieu ;ils n’osèrent plus sévir sans pitié au détriment de fidèles revenus à la piété, tant que, aux termes de l’accord, ceux-ci ne conduisirent point et impies contre les très saintes lois du Seigneur.
Nous devons donc prendre pieusement en considération la piété du bienheureux qui fut d’une douceur et d’une puissance si admirables qu’il domptait les bêtes féroces, apprivoisait les animaux des forêts, instruisait ceux qui sont doux par nature et arrivait à se faire obéir des bêtes pourtant rebelles à l’homme depuis le péché. C’est vraiment là cette piété[31] qui, rendant amies toutes les créatures, est utile à tout et tient les promesses de la vie présente et de la vie future[32].
[1] Affectus : saint Bonaventure appelle ainsi (Triple Voie) les effets ou les actes d’une tendance, particulièrement les élans du cœur devant l’âme vers Dieu, la prière ou oraison nommée pour cela « affective ».
[2] 1 Tm 4 8
[3] L’influence de Dame Pica sur son fils dut être profonde, à en juger par la notion très riche du rôle de « mère » que François s’attribue : voyez 2 C 137 et les Opuscules (L. Leo ; Erm ; 1 Reg, 9, 11 ; 2 Reg 6, 8). Pour la formulation l’ensemble est inspiré des comparaisons bibliques, en particulier 2 S 1 26 (Vg : comme une mère peut aimer son fils unique, c’est ainsi que moi je t’aime).
[4] Allusion à la loi du lévirat (levir = beau-frère) ainsi résumée par les Saducéens venus interroger le Christ : « Si quelqu’un meurt sans enfants, que son frère prenne sa femme et suscite une postérité à son frère défunt. » (Mt 22 24.)
[5] Dt 25 5
[6] Os 6 6
[7] 2 Co 1 3
[8] 1 S 2 5
[9] Ex 29 18
[10] Jn 12 3
[11] La malédiction de saint François a été lue traditionnellement durant des siècles dans les couvents le vendredi après la règle et le testament. Elle invite chacun à un regard sur son comportement communautaire.
[12] LP 21 localise cette « réponse » du Seigneur à la Portioncule. Lire aussi LP 86 qui développe bien des idées contenues dans ce paragraphe.
[13] Ps 56 5
[14] Denigrare famam : l’expression est ici prise en son sens étymologique.
[15] Parce qu’il s’est rendu aussi coupable envers Dieu qu’envers ce sacrement de Dieu : le prochain.
[16] 2 C 182 ajoute que le frère médisant sera remis entre les mains du « pugiliste florentin » ; il s’agit du frère Jean de Florence, qui était haut de taille et d’une force herculéenne.
[17] LP 22 nous montre François mangeant avec un lépreux à la Portioncule. Le fait a été merveilleusement repris et amplifié dans Fioretti 25. LP 89 raconte comment François imposa une pénitence à un frère qui avait méprisé un pauvre. LP 52 montre François donnant à une pauvre femme malade un manteau et douze pains.
[18] La première partie de ce paragraphe résume « l’exemplarisme » bonaventurien, c’est-à-dire l’art de trouver Dieu à travers toutes les créatures ; ou plus exactement Dieu ou Jésus, selon le cas. Le premier paragraphe du chapitre suivant reprend le même thème avec des nuances nouvelles.
[19] Is 53 7
[20] Un texte, de très peu postérieur à l’événement, nous en a gardé le souvenir ; c’est la Passion de saint Vergoin soldat et martyr.
[21] Au temps des Romains, la vallée de Rieti était un vaste lac drainé par le Velino. Le creusement de la fissure des Marmore, au-dessus de Terni, engendrant une magnifique cascade aujourd’hui, hélas, captée pour la houille blanche, a permis l’assèchement de la plus grande partie de la haute plaine de Rieti. Il reste aujourd’hui seulement les trois lacs de Piediluco, de Ripa Sottile et Lungo. Il se peut qu’au temps du Poverello l’étendue d’eau ait été plus importante que de nos jours.
[22] François a traversé la lagune de Venise au moins une fois, à son retour d’Orient.
[23] Dictis horis spatiose. Ce qui pourrait aussi vouloir dire qu’ils prirent tout leur temps pour dire l’office bien à l’aise, sans se presser. Les Laudes sont une prière dont « le bienheureux Père François accompagnait chaque heure de l’office de jour et de nuit » et qui se compose d’une paraphrase du Notre Père, d’une hymne de louange au Seigneur (d’où son nom) et d’une très belle oraison finale.
[24] Le fait se serait passé à l’Alberino, hors des remparts de Sienne, où François gisait malade. A l’Alverne, on montre au-dessous du couvent, sur le vieux pavé que gravissent les pèlerins, la chapelle commémorative de ce salut des oiseaux à François.
[25] Un médecin, dit Celano, (2 C 170).
[26] Au cours de la stigmatisation ; récit au ch. 13.
[27] Mt 3 8
[28] Pr 26 11
[29] Jos 22 18
[30] Periere pericula. On goûte moins en français qu’en latin cette fleur de rhétorique pourtant bien dans le genre de notre Docteur pour qui l’étymologie et l’assonance jointes « font admirablement ». Ce jeu de mots est peut-être une réminiscence du « répons miraculeux » des Matines de saint Antoine de Padoue : le Si quaeris.
[31] Remarquer le procédé de composition : l’inclusion qui ouvre et ferme le chapitre sur la même idée et les mêmes mots (ici sur la même citation de saint Paul).
[32] 1 Tm 4 8