LÉGENDE DE PÉROUSE 85-87

UN EXEMPLE POUR TOUS LES FRÈRES

 85. En ce temps-là, le bienheureux François demeurait à l’ermitage Saint-Eleuthère, non loin de Contigliano, sur le territoire de Rieti. Comme il ne portait qu’une seule tunique et qu’il faisait grand froid, force lui fut de renforcer intérieurement sa tunique ; son compagnon en fit autant. Son corps en ressentit quelque soulagement. Peu de temps après, comme il venait de finir sa prière, tout joyeux il dit à son compagnon : « Je dois être un modèle et un exemple pour tous les frères. Aussi, bien qu’il soit nécessaire à mon corps d’avoir une tunique doublée, je dois penser à mes frères qui sont dans le même besoin et qui n’ont pas ou ne peuvent se procurer semblable tunique. Je dois donc me mettre à leur niveau, partager leurs privations, afin qu’ils les endurent patiemment en voyant ma façon de faire. »

 Nous qui avons vécu avec lui, nous ne saurions dire combien étaient nombreux et urgents les besoins dont il refusait à son corps la satisfaction, dans la nourriture et le vêtement, pour donner aux frères le bon exemple et les aider ainsi à supporter plus patiemment leur indigence. En tout temps, mais surtout quand les frères se furent multipliés et qu’il eut résigné sa charge de supérieur, le principal souci du bienheureux François fut d’enseigner aux frères, par ses actions plus que par ses paroles, ce qu’ils devaient faire et ce qu’ils devaient éviter.

  1. Un jour, remarquant et apprenant que certains donnaient le mauvais exemple dans l’Ordre et que les frères ne se maintenaient pas sur les cimes de leur profession, il en fut douloureusement ému jusqu’au fond du cœur et dit au Seigneur dans sa prière: «Seigneur, je vous remets la famille que vous m’avez donnée. »

 Le Seigneur lui répondit : « Dis-moi, pourquoi es-tu si triste quand un frère sort de l’Ordre ou que d’autres ne marchent pas dans la voie que je t’ai montrée ? Dis-moi, qui donc a planté l’Ordre des frères ? Qui donc convertit les hommes et les pousse à y entrer pour faire pénitence ? Qui leur donne la force d’y persévérer ? N’est-ce pas moi ? » Et la voix intérieure lui dit : « Je n’ai pas choisi en ta personne un savant ni un orateur pour gouverner ma famille religieuse, mais j’ai voulu un homme simple, pour que vous sachiez, toi et les autres, que c’est moi qui veille sur mon troupeau. Je t’ai placé au milieu d’eux comme un signe[1] pour que les oeuvres que j’opère en toi, ils les regardent et les accomplissent à leur tour. Ceux qui suivent ma voie me possèdent et me posséderont plus pleinement encore, mais ceux qui veulent s’en écarter seront dépouillés de ce qu’ils paraissaient avoir[2]. C’est pourquoi je te dis de ne pas te contrister à ce point; fais bien ce que tu as à faire, applique-toi à ton oeuvre, car c’est dans la charité perpétuelle que j’ai planté l’Ordre des frères. Sache que j’ai pour cet Ordre tant d’amour que, si l’un des frères retournait à son vomissement et mourait hors de l’Ordre, j’en enverrais un autre pour recevoir à sa place la couronne qui lui était destinée ; s’il n’est pas encore né, je le ferai naître. Pour te bien persuader que je chéris de tout mon cœur la vie et l’Ordre des frères, je te le dis, même s’il ne comptait plus que trois membres, je ne l’abandonnerais pourtant jamais ! »

  1. Ces paroles furent d’un grand réconfort pour le bienheureux François, car il était excessivement désolé quand il apprenait que les frères donnaient le mauvais exemple. Quoiqu’il ne pût s’empêcher tout à fait de s’attrister quand on lui rapportait quelque faute, cependant il se remémorait les paroles réconfortantes du Seigneur et s’en entretenait avec ses compagnons. Aussi disait-il dans les chapitres et même dans ses instructions familières[3] : « J’ai résolu et juré d’observer la Règle ; les frères s’y sont pareillement engagés. Depuis que j’ai résigné ma charge de supérieur à cause de mes maladies, pour le plus grand bien de mon âme et de mes frères, je ne suis plus tenu vis-à-vis d’eux qu’à leur donner le bon exemple. En effet, j’ai appris du Seigneur et je sais d’une façon certaine que, même si la maladie n’avait été une raison suffisante de me retirer, le plus grand service que je puisse rendre à l’Ordre, c’est de prier le Seigneur de le gouverner, conserver, protéger et défendre[4]. Je me suis engagé devant Dieu et devant les frères : et j’entends bien avoir à rendre compte au Seigneur de tout frère qui se perdrait par mon mauvais exemple. »

 Quand un frère venait lui dire qu’il devrait s’occuper un peu du gouvernement de l’Ordre, il répondait : « Les frères ont la Règle, qu’ils ont juré d’observé[5]. Pour qu’ils n’aient pas d’excuse, j’ai juré également devant eux, depuis qu’il a plu au Seigneur de me faire leur supérieur, de l’observer moi-même, et je veux continuer de le faire jusqu’à la fin de ma vie. Ainsi donc, puisque mes frères savent ce qu’ils ont à faire et à éviter, il ne me reste plus qu’à leur prêcher d’exemple, car c’est pour cela que je leur ai été donné, pendant ma vie et après ma mort !

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[1] Cf. 8 6, et Ag 2 23.

[2] Mi 13 12 et Lc 8 18-26.

[3] Cf. plus haut, § 71, note 3.

[4] Missel : oraison à l’aspersion de l’eau bénite.

[5] Comparer avec Lc 16 29 : Ils ont Moïse et les prophètes…

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