DÉVOTION À L’EUCHARISTIE
- Après le chapitre de Sainte-Marie de la Portioncule, où des frères, pour la première fois, furent envoyés dans les pays d’outremer[1], le bienheureux François, qui était demeuré dans ce couvent avec quelques frères, leur dit : « Mes très chers frères, je dois être un modèle et un exemple pour tous. Si donc j’ai envoyé mes frères dans les pays lointains où ils subiront fatigue, humiliations, faim, épreuves de toute sorte, il est juste et bon, me semble-t-il, que je parte moi aussi pour une contrée lointaine, afin que mes frères souffrent avec patience leurs épreuves et privations, sachant que j’en supporte autant de mon côté. » Et il ajouta : « Allez, et priez le Seigneur qu’il me donne de choisir le pays où je travaillerai le mieux à sa gloire, au progrès et au salut des âmes, au bon exemple de l’Ordre. »
C’était en effet l’habitude du très saint Père, quand il devait aller prêcher dans une contrée éloignée ou même dans une province voisine, de prier et de faire prier, pour que le Seigneur lui inspire de se rendre là où ce serait préférable selon Dieu.
Les frères se retirèrent donc pour prier et, quand ils eurent fini, ils revinrent auprès du bienheureux qui leur dit : « Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, de la glorieuse Vierge sa mère et de tous les saints, je choisis le pays de France. C’est une nation catholique qui, entre toutes les autres nations catholiques de la sainte Eglise, témoigne le plus de respect au Corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ[2], et rien ne saurait m’être plus agréable que de me rendre chez eux.»
- Le bienheureux François avait, en effet, beaucoup de respect et de dévotion pour le Corps du Christ. Il aurait voulu écrire dans la Règle que, dans les provinces où ils demeuraient, les frères devaient aussi lui consacrer beaucoup de soins et d’égards, exhorter et encourager les clercs et les prêtres à conserver le Corps du Christ dans un lieu décent et convenable et, si les clercs ne le faisaient pas, y pourvoir par eux-mêmes[3]. Il voulut même un jour envoyer, dans toutes les provinces, des frères avec des ciboires où ils placeraient le Corps du Christ s’ils le trouvaient ici ou là en un endroit peu décent. Par respect pour les très saints Corps et Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ il aurait voulu insérer dans la Règle que, si les frères trouvaient des écrits contenant le nom du Seigneur ou les paroles rituelles du très saint Sacrement, négligemment abandonnés dans un endroit peu convenable, ils devaient les recueillir et les ranger, honorant ainsi le Seigneur dans les paroles qu’il a prononcées. Beaucoup d’objets, en effet, deviennent sacrés par les paroles de Dieu, et le Sacrement de l’autel s’opère par la vertu des paroles du Christ. Il n’écrivit pas dans la Règle cette prescription parce que les Ministres ne jugèrent pas opportun d’en faire une obligation, mais il voulut, dans son Testament et ses autres écrits, laisser à ses frères l’expression de sa volonté à ce sujet. Il voulut de même envoyer dans toutes les provinces des frères avec de beaux et bons fers à hosties. Il choisit les frères qu’il voulait emmener avec lui et leur dit : « Au nom du Seigneur, allez deux à deux par les chemins, dignement ; le matin, gardez le silence jusqu’après Tierce[4] en priant Dieu dans votre cœur. Pas de bavardages inutiles, car bien que vous soyez en voyage, votre conduite doit être aussi intègre que si vous étiez dans un ermitage ou dans votre cellule. Où que nous soyons, où que nous allions, nous emportons notre cellule avec nous. Notre cellule, c’est notre frère le corps, et notre âme est l’ermite habitant cette cellule pour prier Dieu et méditer. Si notre âme ne demeure pas dans le calme et la solitude à l’intérieur de sa cellule, à quoi bon habiter une cellule faite de main d’homme ? »
[1] Autre leçon : au-delà des Monts.
[2] Cette réputation de la France est rattachée par certains au mouvement eucharistique liégeois qui avait pour protagoniste sainte Julienne de Mont-Cornillon (1191-1258). Mais, outre que Liège est alors terre d’Empire, c’est seulement vers 1230 que la moniale communiqua ses révélations, et en 1246 que fut instituée la Fête-Dieu. Si l’on veut quelques faits précis pour expliquer l’affirmation de saint François, on peut, à la rigueur, relever : 1° que le saint assista à la mort d’Innocent III en 1216 (Eccleston, De Adventu, 15) et 2° qu’il y rencontra le cardinal Jacques de Vitry, fervent biographe de sainte Marie d’Oignies ( + 1213), elle-même promotrice du culte eucharistique. (Cf. O. van Rieden, Das Leiden Christi im Leben des hl. Fr., Rome 1960 Qui croit pouvoir dater de cette époque la campagne épistolaire de saint François en faveur de l’Eucharistie). Mais il existe surtout un courant de pensée et un ensemble de faits « français, » :
– liturgiques : usage de la lampe devant la sainte Réserve, qui se généralise à la fin du Xlle siècle; ostension et élévation de l’hostie entérinées par décrets synodaux d’Eudes de Sully, évêque de Paris de 1197 à 1208.
– littéraires : soit en latin : floraison vraiment extraordinaire de traités sur le Corps et le Sang du Christ (J. de Ghellinck, art. Eucharistie au Xlle siècle en Occident, dans DTC) ; – soit en français : cf. D.-C. Hontoir, ocr, La Queste del Saint Graal, dans Studia Eucharistica, Anvers 1946, pp. 132-55.
– miraculeux enfin (et ce furent peut-être les plus influents) ; depuis le miracle de Saint-Yved de Braine au diocèse de Soissons (en 1153) Qui eut un grand retentissement, on connaît de nombreux miracles eucharistiques : cf. E. Dumoutet, Corpus Domini, Paris 1942, pp.1)7-25. Saint Thomas leur consacrera même un article de sa Somme (llla, q. 76, art. 8).
Sur toute cette question, voir Dict. Spir., article France col. 873, et A. Callebaut, Autour de la rencontre à Florence de s. Fr, et du card. Hugolin, AFH 19 (1926), pp. 530-40.
[3] 2 Let 4-5 et 11 ; Test 11-12.