UN NOVICE ET SON PSAUTIER
- Il y avait une fois un frère novice qui savait lire le psautier, mais pas très bien. Comme il aimait beaucoup cette lecture, il demanda au Ministre général la permission d’avoir un psautier. Le Ministre y consentit. Toutefois, ce frère ne voulait pas se l’attribuer avant d’en avoir obtenu la permission du bienheureux François[1].
Il avait entendu dire que le saint Père ne voulait pas voir ses frères avides de science et de livres, mais qu’il préférait les voir – comme il le prêchait – passionnés pour la pure et sainte simplicité, pour la prière, et pour Dame Pauvreté. C’est ainsi qu’avaient été formés les premiers frères, qui étaient des saints, et il estimait que telle était la voie la plus sûre pour faire son salut.
Non pas qu’il ait jamais méprisé ni regardé d’un mauvais œil la science sacrée : au contraire il témoignait un affectueux respect aux savants de l’ordre et à tous les savants, comme il le dit lui-même en son Testament: « Tous les théologiens et ceux qui nous communiquent les saintes paroles de Dieu, nous devons les honorer et les vénérer comme étant ceux qui nous communiquent l’Esprit et la Vie[2] ».
Mais, prévoyant l’avenir, il savait par le Saint-Esprit et répétait souvent que beaucoup de frères, sous prétexte d’édifier les autres, abandonneraient leur vocation, c’est-à-dire la pure et sainte simplicité, la prière, et Dame Pauvreté ; ils se croiraient plus fervents et plus enflammés d’amour pour Dieu à cause de leur intelligence des Ecritures, alors que justement à cause de cela ils demeureraient au-dedans vides et glacés ; et ils ne pourraient revenir à leur ancienne vocation, puisqu’ils auraient laissé passer le temps qui leur avait été donné pour vivre dans cette sainte vocation. « Et je crains fort, concluait-il, que ce qu’ils paraissaient avoir leur soit enlevé[3], pour avoir abandonné leur vocation. »
[1] L’anecdote est délimitée dans le temps : c’est le 22 sept, 1220 que fut institué le noviciat, par la Bulle Cum secundum consilium, d’Honorius III. – Et le Ministre général était probablement frère Elie.
[3] Cf Mt 13 12.