SÉRÉNITÉ ET JOIE AUX APPROCHES DE LA MORT
- A l’époque où le bienheureux François, à son retour du couvent de Bagnara[1], était au lit, bien malade, dans le palais épiscopal d’Assise, les habitants craignaient que s’il mourait à leur insu pendant la nuit, les frères n’emportassent secrètement son corps pour l’ensevelir dans une autre ville ; ils décidèrent de faire chaque nuit bonne garde aux abords du palais. Le bienheureux François était alors bien affaibli. Pour le réconfort de son âme et pour éviter le découragement au milieu de ses graves et nombreuses infirmités, il se faisait souvent chanter par ses compagnons les « Louanges du Seigneur » qu’il avait composées jadis pendant sa maladie. Il les faisait chanter aussi la nuit pour l’édification de ceux qui montaient la garde, à cause de lui, aux abords du palais.
Le frère Elie, voyant que le bienheureux François puisait ainsi joie et courage dans le Seigneur au milieu de si grands maux, lui dit un jour : « Mon très cher frère, je suis bien consolé, bien édifié, de voir la joie que tu éprouves et que tu manifestes à tes compagnons dans une telle affliction et maladie. Sans doute les hommes de cette cité te vénèrent comme un saint dans la vie et dans la mort ; mais comme ils croient fermement que ta maladie grave et incurable te conduira bientôt au trépas, ils pourraient penser et se dire en eux-mêmes, en entendant chanter ainsi les » Louanges du Seigneur » : Comment peut-il montrer une si grande joie alors qu’il va trépasser ? Ne ferait-il pas mieux de penser à la mort ? »
Le bienheureux François lui répondit : « Te souviens-tu de ta vision de Foligno dans laquelle, m’as-tu dit, une voix t’avertit que je ne vivrais pas au-delà de deux ans[2] ? Avant ta vision déjà, grâce au Saint-Esprit qui met toute bonne pensée au cœur et toute bonne parole aux lèvres de ses fidèles, souvent, de jour ou de nuit, je pensais à la mort. Depuis ta vision j’ai eu plus encore le souci de penser chaque jour à l’heure de ma mort. » Puis il ajouta avec passion : « Frère, laisse-moi me réjouir dans le Seigneur et chanter ses louanges au milieu de mes infirmités : par la grâce du Saint-Esprit je suis si étroitement uni à mon Seigneur que, par sa bonté, je puis bien me réjouir dans le Très-Haut lui-même ! »
- En ces jours-là un médecin d’Arezzo nommé Bonjean, ami et familier du bienheureux François, vint au palais pour le voir. Le saint l’interrogea sur sa maladie et lui dit : « Que penses-tu, frère Jean[3], de mon hydropisie ? » (Car le bienheureux ne voulait pas appeler par leur nom ceux qui se nommaient « Bon » ; cela par respect pour le Seigneur qui a dit : Nul n’est bon que Dieu seul[4]. De même, dans ses lettres il n’appelait personne père ou maître, par respect pour le Seigneur qui a dit : Ne donnez à personne sur terre le nom de père, et ne vous faites pas appeler maître[5].)
Le médecin lui répondit : « Frère, avec la grâce de Dieu, tout ira bien. » Il ne voulait pas lui dire, en effet, qu’il allait bientôt mourir. Le bienheureux François reprit : « Frère, dis-moi la vérité, quel est ton pronostic ? N’aie pas peur, car grâce à Dieu je ne suis pas un couard qui craint la mort. Le Seigneur, par sa grâce et dans sa bonté, m’a uni assez étroitement à lui pour que je sois aussi heureux de vivre que de mourir ». Le médecin lui répondit : « Père, d’après notre science médicale, ton mal est incurable, et tu mourras à la fin de septembre ou le quatrième jour des Nones d’octobre. » Alors le bienheureux François qui gisait sans force sur son lit, étendit les bras et leva les mains vers le Seigneur, avec grande dévotion et grand respect, en s’écriant, le corps et l’âme envahis de joie : « Ma soeur la mort, sois la bienvenue ! »
[3] Dans l’édition Deforme : Finiato ; – dans divers mss : Bienvenu.
[4] Lc 18 19. – Le chroniqueur Salimbene raconte que lui aussi (il s’appelait primitivement Ognibene : Tout-Bien) et pour la même raison, fut rebaptisé par le dernier frère auquel saint François avait remis l’habit de l’Ordre : Chronica, MGH SS 32, p. 38.
[5] Mt 23 1-10.