FIORETTO 44

CHAPITRE 44

COMMENT LA MÈRE DU CHRIST, SAINT JEAN L’ÉVANGELISTE ET SAINT FRANÇOIS APPARURENT A FRÈRE PIERRE DE MON­TICELLO, ET LUI DIRENT LEQUEL D’ENTRE EUX SOUFFRIT LA PLUS GRANDE DOULEUR DE LA PASSION DU CHRIST [1].

Au temps où demeuraient ensemble dans la custodie d’Ancône, au couvent de Forano [2], les susdits frère Conrad et frère Pierre [3], qui étaient deux étoiles brillantes dans la province de la Marche et deux hommes du ciel, comme il y avait entre eux tant d’amour et tant de charité qu’ils parais­saient n’avoir qu’un même cœur et qu’une même âme [4], ils s’engagèrent ensemble par ce pacte toute consolation que leur accorderait la miséricorde de Dieu, ils devraient se la révéler charitablement l’un à l’autre.

Ce pacte conclu, il advint qu’un jour où frère Pierre était en prière et pensait très pieusement à la passion du Christ, et comment la bienheureuse mère du Christ, Jean, le disciple bien-aimé, et saint François étaient peints au pied de la croix [5], crucifiés avec le Christ par la douleur de leur âme, il lui vint le désir de savoir lequel de ces trois avait éprouvé la plus grande douleur de la passion du Christ : ou la Mère qui l’avait engendré, ou le disciple qui avait dormi sur son sein, ou saint François qui avait été crucifié avec le Christ [6]. Comme il était en cette pieuse méditation, la Vierge Marie lui apparut avec saint Jean et saint François, vêtus de très nobles vêtements de gloire bienheureuse ; mais saint François paraissait vêtu d’une plus belle robe que saint Jean .

Et comme frère Pierre était tout bouleversé par cette vision, saint Jean le réconforta et lui dit : « Ne crains point, frère bien-aimé, car nous sommes venus te consoler et t’éclairer sur l’objet de ton doute. Sache donc que la mère du Christ et moi, nous avons, plus que toute créature, souffert de la passion du Christ ; mais après nous, saint François en éprouva plus grande douleur qu’aucun autre ; c’est pour cela que tu le vois en une telle gloire. » Frère Pierre lui demanda : « Très saint apôtre du Christ, pour­quoi le vêtement de saint François paraît-il plus beau que le tien ? » Saint Jean lui répondit : « En voici la raison c’est que, quand il était sur la terre, il porta des vêtements plus vils que moi.

Et ces paroles dites, saint Jean donna à frère Pierre un vêtement glorieux qu’il portait en main et lui dit : « Prends ce vêtement, je l’ai apporté pour te le donner. » Saint Jean voulant le vêtir de ce vêtement, frère Pierre stupéfait tomba à terre et se mit à crier : « Frère Conrad, frère Conrad bien-aimé, accours vite, viens voir des choses merveilleu­ses. » Sur ces paroles, cette sainte vision disparut. Puis comme frère Conrad arrivait, il lui raconta en détail toutes ces choses ; et ils rendirent grâce à Dieu. Amen.

Chapitre 45

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[1] Ce chapitre qui manquait dans le manuscrit des Actus de Paul Sabatier, a été publié par lui, 74, d’après la Chronique des XXIV Généraux, p. 410 et suiv. ; le manuscrit de M. A.-G. Little nous fournit un texte latin beaucoup plus voisin de la traduction des Fioretti, 56 ; titre : Comment frère Pierre et frère Conrad furent deux étoiles très brillantes. Le titre de certaines éditions italiennes indique par erreur que c’est frère Conrad qui aurait eu cesse vision ; cf. P. B. Bugbetti, éd. cit., p. 153, n. 2.

[2] Cf. chap. 42, n. 14.

[3] Man. de M. A.-G. Little : « Le vénérable prêtre de Dieu, frère Pierre de Monticello… ».

[4] Voir la fin du chap. 42.

[5] Dans aucun des deux textes latins, il ne se trouve un mot correspondant au mot dipinti des Fioretti ; mais il paraît probable qu’il s’agit d’un tableau représentant saint François stigmatisé au pied de la croix, la Vierge et saint Jean, tableau peint non pas forcément avant la mort de Pierre de Monticello en 1304, mais avant la rédaction de ce chapitre.

[6] Texte de la Chronique des XXIV Généraux : « Portant ses Stigmates sacrés. »

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