CHAPITRE 17
COMMENT UN PETIT FRÈRE TOUT ENFANT VIT, PENDANT QUE SAINT FRANÇOIS PRIAIT DE NUIT, LE CHRIST, LA VIERGE MARIE ET BEAUCOUP D’AUTRES SAINTS S’ENTRETENIR AVEC LUI [1].
Un enfant très pur et innocent fut reçu dans l’Ordre du vivant de saint François ; et il se trouvait dans un petit couvent où les frères, par nécessité, dormaient sur des lits de camp [2]. Saint François vint une fois audit couvent, et le soir, après Complies, il s’en alla dormir afin de pouvoir se lever la nuit pour prier, quand les autres frères dormiraient, comme il avait l’habitude de le faire. Ledit enfant résolut dans son cœur d’épier attentivement les pas de saint François, pour pouvoir connaître sa sainteté, et tout spécialement de savoir ce qu’il faisait la nuit quand il se levait. Et pour ne pas être le jouet du sommeil, cet enfant s’allongea pour dormir à côté de saint François et noua sa corde à celle du Saint, pour sentir quand il se lèverait ; et saint François ne s’aperçut de rien. Mais la nuit, sur le premier sommeil, quand tous ses frères dormaient, saint François se leva et, trouvant sa corde attachée, il la dénoua si doucement que l’enfant ne s’en rendit pas compte ; et saint François s’en alla seul dans le bois qui était près du couvent [3], et il entra dans une misérable cellule qui était là et se mit en prière.
Quelque temps après, l’enfant se réveille et, voyant la corde dénouée et que saint François s’était levé, il se lève lui aussi et part à sa recherche ; et trouvant ouverte la porte par où on arrivait au bois, il pensa que saint François y était allé et il entre dans le bois. Et arrivant près du lieu où saint François priait, il commença d’entendre un grand bruit de voix ; et s’approchant davantage pour voir et pour comprendre ce qu’il entendait, il vit une merveilleuse lumière qui enveloppait saint François et dans laquelle il vit le Christ et la Vierge Marie, et saint Jean-Baptiste et l’Evangéliste, et une très grande multitude d’anges, qui s’entretenaient avec saint François : ce que voyant et entendant, l’enfant tomba à terre évanoui.
Puis, quand fut achevé le mystère de cette sainte apparition, saint François, en retournant au couvent, heurta du pied ledit enfant qui gisait comme mort sur le chemin ; plein de compassion, il le souleva dans ses bras et le reporta sur sa couche, comme fait le bon pasteur pour sa petite brebis.
Et puis, ayant appris de lui comment il avait vu ladite vision, il lui ordonna de ne jamais la révéler à personne tant qu’il serait vivant. Et l’enfant, croissant ensuite dans la grande grâce de Dieu et dans la dévotion de saint François, devint dans l’Ordre un religieux éminent ; et ce ne fut qu’après la mort de saint François qu’il révéla aux frères ladite vision.
A la louange du Christ. Amen.
[1] Actus, 19 ; titre : Comment le Christ et la bienheureuse Vierge et les saints Jean-Baptiste et l’Evangéliste, ainsi qu’une multitude d’anges, s’entretenaient avec saint François. On traduit le plus souvent ces mots du titre italien Come uno fanciullo fraticino… par : Comment un très jeune frère novice…, mais le noviciat n’ayant été institué qu’en 1220 et la date de cet épisode étant inconnue, on ne saurait affirmer, semble-t-il, qu’il s’agit d’un novice.
[2] In campoletti ; in campo lectis, dans le texte des Actus. Qu’est-ce c’était que ces lits de camp ? Vraisemblablement, des planches ou un peu de paille.
[3] D’après les Actus, ce bois était sur une colline.