CHAPITRE XI
COMMENT L’ÉGLISE LES DÉFENDIT CONTRE LES ATTAQUES DE LEURS PERSÉCUTEURS
44a. – Onze ans accomplis après la naissance de l’Ordre, le nombre des frères s’étant considérablement accru. on élut des ministres et on les envoya, avec bon nombre de frères, dans presque toutes les régions du monde où était implantée la foi catholique.
44b. – Dans certaines, on les reçut, mais on s’opposa formellement à ce qu’ils y construisissent des résidences. Ailleurs, on les expulsa, car on y suspectait les frères de n’être pas de bons chrétiens. C’est qu’en effet le pape n’avait pas encore officiellement approuvé leur Règle, mais seulement de vive voix. Cette particularité leur occasionna bien des désagréments, tant de la part du clergé que des laïcs. Certains furent détroussés et laissés nus par des brigands, et tous revinrent au bienheureux François éplorés et profondément découragés. Ces mésaventures leur survinrent en Hongrie, en Allemagne et d’autres pays transalpins.
44c. – Les frères en firent part au cardinal dont nous avons parlé, Monseigneur d’Ostie. Celui-ci manda le bienheureux François et l’introduisit auprès du Seigneur pape Honorius. Le Seigneur Innocent était en effet décédé à l’époque[1]. Il lui fit rédiger une autre Règle et la fit approuver par ledit Seigneur pape, qui l’authentifia en lui conférant l’autorité du sceau apostolique.
44d. – Dans cette Règle, il espaça davantage la tenue des chapitres afin d’épargner de continuels et fatigants déplacements aux frères qui vivaient dans des pays lointains[2].
45a. – En outre, le bienheureux François pria le Seigneur pape de lui donner l’un des cardinaux comme gouverneur, protecteur et correcteur de son Ordre, selon les propres termes dont il use dans cette même Règle[3]. Et celui-ci leur accorda, comme tel, Monseigneur d’Ostie.
45b. – Ainsi commissionné par le Seigneur pape, le cardinal Hugolin employa tout son crédit à défendre les frères : il écrivit à de nombreux prélats dans la circonscription desquels ceux-ci avaient été malmenés, en leur recommandant de ne pas faire mauvais visage aux frères, mais bien plutôt de leur donner l’autorisation et toutes facilités pour s’établir et prêcher dans les lieux de leur juridiction, comme à de bons religieux dûment approuvés par l’Eglise. Bon nombre d’autres cardinaux en firent autant et envoyèrent des lettres dans le même sens.
45c. – Et c’est ainsi qu’au chapitre suivant, le bienheureux François a envoyé de nouvelles missions en ces contrées, accordant aux ministres la faculté de recevoir dans l’Ordre[4]. Les frères emportaient avec eux la Règle authentifiée et les lettres du cardinal que nous avons mentionnées. Voyant donc que leur Règle était approuvée par le souverain pontife, et sur la foi des recommandations de Monseigneur d’Ostie et des autres cardinaux, les prélats permirent aux frères de construire, de résider et de prêcher dans leurs circonscriptions.
45d. – Ainsi autorisés, les frères s’y établirent et se mirent à prêcher. Témoins de l’humilité de leur vie, de l’honnêteté de leur conduite et de la gentillesse de leurs manières[5], beaucoup vinrent leur demander l’habit de notre saint Ordre.
45e. – De son côté, le bienheureux François aimait du plus profond du cœur Monseigneur d’Ostie pour la confiance et l’affection que celui-ci manifestait aux frères. Lorsqu’il lui écrivait, il adressait ainsi ses lettres : « Au vénérable Père dans le Christ, à l’évêque du monde entier. »
45f. – Et de fait, conformément à cette prédiction du bienheureux François, peu de temps après, ce même Monseigneur d’Ostie a été élu au Siège apostolique et a pris le nom de pape Grégoire IX[6].
[1] Il mourut à Pérouse, le 16 juillet 1216. Honorius III fut élu pape le surlendemain.
[2] 2 Reg 8/3. La première Règle (18/2) avait déjà autorisé , « les ministres d’outre-monts et d’outre-mer» à ne participer que tous les trois ans au chapitre annuel de la Pentecôte.
[3] 2 Reg 12/3 ; Test 33.
[4] 2 Reg 2/1 ; cf. 1 Reg 2/2,8.
[5] Cf. 1 Reg 7/16, 11/9 ; 2 Reg 3/1 1.
[6] Il fut élu pape le 19 mars 1227, cinq mois et demi après la mort de saint François, et gouverna l’Eglise plus de 14 ans. Il mourut, en effet, le 22 août 1241.