En 1244, le ministre général nouvellement élu, Crescent de Jesi, « ordonna à tous les frères de lui communiquer par écrit tout ce qu’ils pourraient connaître avec certitude concernant la vie et les miracles du bienheureux François »[1] .
Répondant à cette injonction, les « trois compagnons », Léon, Rufin et Ange qui avaient intimement connu le Saint, envoyèrent à Crescent certains écrits « qu’ils purent trouver ». Ils y joignaient leur témoignage personnel et ceux « qu’ils purent recueillir d’autres frères d’une probité irréprochable ». Leur Lettre d’envoi (TC 1), datée de Greccio et du Il août 1246, déclare qu’« ils prennent sur eux, certains de leur véridicité, de communiquer » au ministre général cet ensemble de documents qu’ils ont contrôlés.
Or, parmi ces « frères d’une probité irréprochable » dont ils garantissent le témoignage et citent les noms, Léon, Rufin et Ange mentionnent un certain « frère Jean, compagnon du vénérable frère Gilles », ajoutant aussitôt que ce Jean, « par le truchement dudit frère Gilles et du frère Bernard, de sainte mémoire, a tenu du bienheureux François bien des informations » [2].
L’importance toute spéciale que les trois compagnons attachent à ce témoignage « tenu de saint François » nous amène à nous demander s’ils n’avaient pas en mains un ouvrage qui passait alors, à juste titre, pour les « Mémoires » des frères Gilles et Bernard et qui avait été rédigé par ce frère Jean, leur intime. Entre autres écrits « qu’ils purent trouver » et dont ils se portaient garants, ils auraient alors transmis ces « Mémoires » à Crescent de Jesi. Ceux-ci nous seraient finalement parvenus sous la dénomination actuelle d’« Anonyme de Pérouse ».
Notre opuscule est en tout cas bien connu du compilateur de la Légende des Trois Compagnons puisqu’en 1246-1247 il l’incorpore tout entier à son œuvre, n’en exceptant que la préface (AP 2), le prologue (3), l’épilogue (48) et un court épisode de trois lignes (42b).
Source de la Légende des Trois Compagnons, elle-même source de la Vita secunda de Celano, l’Anonyme de Pérouse est donc nécessairement antérieur à cette dernière (1247).
D’autre part, puisque notre opuscule contient un éloge posthume du frère Sylvestre (AP 13c), mort à Assise le 4 mars 1240, il ne peut avoir été composé qu’après cette date.
Par contre, on ne retrouve dans l’Anonyme aucune allusion similaire au décès du frère Bernard ni du pape Grégoire IX. Nous savons pourtant que notre auteur était fort lié au premier et qu’il n’admirait pas peu le second (AP 43-45). Dans ces conditions, il est hautement invraisemblable qu’il ait omis de leur rendre un dernier hommage, comme il le rend à Sylvestre, si ceux-ci étaient déjà décédés lors de la rédaction de son ouvrage.
Fait significatif, le compilateur de la Légende des Trois Compagnons, dans des passages qu’il emprunte à l’Anonyme de Pérouse, aura soin, en 1246-1247, d’intercaler quelques lignes de son cru pour y introduire les éloges posthumes du frère Bernard (TC 39) et de Grégoire IX (TC 67), tout comme il le fait également, pour ce dernier, dans un autre texte repris de la Vita prima de Celano (TC 24).
Il semble donc bien qu’il faille situer la composition de l’Anonyme de Pérouse entre la mort du frère Sylvestre et celle de Grégoire IX, c’est-à-dire entre le 4 mars 1240 et le 22 août 1241.
PIERRE-B. BÉCUIN, OFM.
[1] Chronique des XXIV Généraux, AF 111, p. 262.
[2] Telle est la version du manuscrit de Fribourg, qui semble bien le témoin le plus fidèle de cette Lettre des Trois Compagnons.