Vita prima Chapitre 7 n°105-108

Deuxième partie :

CHAPITRE 7

RETOUR DE SIENNE A ASSISE. L’ÉGLISE SAINTE-MARIE DE LA PORTIONCULE. BÉNÉDICTION AUX FRERES.

105.- Six mois avant sa mort – il se trouvait à Sienne pour y soigner ses yeux – il fut atteint gravement par d’autres maux dans tout le corps : crampes continuelles d’estomac, crises de foie… Il vomit le sang si abondamment qu’on le crut près de mourir. A cette nouvelle, frère Elie s’empressa d’accourir : il le trouva mieux et put l’emmener jusqu’aux Celles de Cortone. Mais là, l’enflure prit les jambes et les pieds, le ventre gonfla, cependant que l’estomac de plus en plus délabré tolérait à peine quelque nourriture. Il pria donc frère Elie de le faire transporter à Assise, et celui-ci, filialement, se mit en devoir d’accomplir les désirs d’un si tendre Père ; on organisa le transport ; on l’amena où il l’avait souhaité. Toute la ville fut en liesse à l’arrivée du bienheureux et les louanges de Dieu étaient sur toutes les lèvres, car on espérait bien que le bienheureux mourrait sans tarder c’était là ce qui causait leur allégresse.

106.- Dieu avait décidé que l’âme du saint serait délivrée de son corps et partirait pour le royaume des cieux là même où, encore incarnée, elle avait appris les premiers rudiments du surnaturel et avait reçu l’onction du salut. Certes, et le saint ne l’ignorait pas, on trouve établi le royaume des cieux partout sur terre, et en tout lieu Dieu accorde sa grâce aux élus ; mais il savait, pour l’avoir expérimenté, que l’église Sainte-Marie de la Portioncule avait le privilège d’une grâce plus abondante et recevait souvent la visite des esprits d’En-Haut. Aussi disait-il souvent aux frères « Gardez-vous bien, mes fils, de jamais quitter ce lieu ! Si l’on vous en chasse par une porte, rentrez-y par une autre, car ce lieu est vraiment saint et Dieu y habite. Ici, dans les débuts, nous n’étions qu’un petit groupe et le Très-Haut nous multiplia ; c’est ici qu’il a illuminé le cœur de ses pauvres par la lumière de sa sagesse ; c’est ici qu’il a enflammé nos volontés du feu de son amour. Celui qui viendra prier ici d’un cœur fervent obtiendra ce qu’il demande, mais les fautes qu’on y commettra seront bien plus lourdement punies. Aussi, mes fils, considérez comme digne de tout votre respect ce lieu où Dieu habite, et de tout votre cœur chantez-y ses louanges sur les modes les plus joyeux ! »

107.- Cependant le mal empirait, la faiblesse augmentait finalement, toutes ses forces l’ayant abandonné, il ne pouvait plus faire un mouvement. Un frère lui demanda s’il aurait préféré à cette longue et pénible maladie n’importe quel cruel martyre de la main du bourreau. « Mon fils, répondit-il, ce qui a été pour moi jusqu’ici et continue encore d’être le plus doux, le plus cher, le plus agréable, c’est ce qu’il plaît à Dieu de réaliser en moi et par moi ; de sa volonté la mienne reste toujours inséparable, et je ne désire qu’une chose : lui obéir en tout point. Quant au martyre, n’importe lequel me serait plus supportable que trois jours de ces souffrances. »

O vrai martyr, cependant, et deux fois martyr, puisque c’est avec le sourire qu’il supportait des maux dont la seule vue était aux autres insupportable et vraiment trop pénible ! On l’a dit très justement, « pas une place de son corps qui ne souffrît douleur et torture  ». La chaleur le quittait peu à peu, il déclinait chaque jour ; les médecins et les frères admiraient, stupéfaits, la vitalité de cet esprit dans un corps presque mort, décharné, ne possédant plus que la peau sur les os.

108.- Il vit arriver son dernier jour, dont une révélation lui avait d’ailleurs, deux ans plus tôt, indiqué la date ; il appela les frères, qu’il désirait revoir, et bénit chacun d’eux dans les termes que lui inspirait le ciel, comme le patriarche Jacob autrefois bénit ses fils , ou plutôt comme un autre Moïse qui, au moment de gravir la montagne désignée par le Seigneur, combla de ses bénédictions les enfants d’Israël . Frère Elie était à sa gauche, les autres frères rangés tout autour ; le bienheureux croisa les mains et posa la droite sur la tête de frère Elie. Comme il n’y voyait plus, il demanda : « Sur qui repose ma main droite ? – Sur frère Elie. – C’est bien ainsi que je l’entends. Je te bénis, mon fils, en tout ce que tu feras, et puisque le Très-Haut a multiplié mes frères et mes fils sous ta direction, c’est aussi en toi que je les bénis tous. Que le Dieu Roi de l’univers te bénisse dans le ciel et sur la terre. Je te bénis autant que je puis et plus encore que je ne puis ; ce dont je suis incapable, que l’accomplisse en toi celui qui peut tout. Que Dieu se souvienne de tes travaux et de tes labeurs et qu’il te réserve ta part d’héritage au jour de la récompense des justes. Puisses-tu obtenir toujours les faveurs que tu désires et recevoir ce que tu demandes . Et vous, tous mes fils, vivez et demeurez toujours dans la crainte de Dieu, car de grandes épreuves vous menacent et la tribulation est proche. Heureux ceux qui persévéreront dans ce qu’ils ont entrepris, malgré les scandales qui en feront trébucher un certain nombre. Pour moi, j’ai hâte d’aller maintenant vers le Seigneur et j’espère bien rejoindre mon Dieu que j’ai voulu servir de tout cœur ! »

Il était alors logé au palais de l’évêque d’Assise  : il demanda aux frères de le transporter bien vite au couvent Sainte-Marie de la Portioncule, car il voulait rendre son âme à Dieu là même où, comme nous l’avons dit, il prit pour la première fois conscience du chemin de la vérité.

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