Vita prima, Chapitre 11 n° 26-28

CHAPITRE 11

DE L’ESPRIT PROPHÉTIQUE ET DES RÉVÉLATIONS DE SAINT FRANÇOIS.

26.- Comblé chaque jour davantage des grâces consolantes de l’Esprit-Saint, le bienheureux Père François mettait toute sa vigilance et toute son application à former, selon des principes nouveaux pour eux, ses fils encore inexpérimentés et leur apprenait à marcher sans dévier sur le chemin de la sainte pauvreté et de la bienheureuse simplicité.

Or un jour, confondu par la miséricorde du Seigneur qui répandait sur lui ses grâces, il souhaita connaître ce qu’il adviendrait de lui-même et des siens. Il se retira donc, comme il le faisait souvent, en un lieu favorable à la prière, se plongea longuement, avec crainte et terreur, dans la contemplation du Maître de la terre entière et, revoyant dans l’amertume de son âme, ses mauvaises années, il répétait : « Mon Dieu, aie pitié de moi qui suis un pécheur !  ». Et peu à peu une indicible joie et une grand suavité filtrèrent au plus intime de son âme ; le ravissement commença, et disparurent alors les angoisses et ténèbres qui s’étaient comme épaissies dans son âme à la pensée troublante de ses anciens péchés ; avec la certitude du pardon complet, l’assurance lui fut donnée qu’il pouvait se reposer sur la grâce. Puis il fut ravi en extase et comme absorbé tout entier dans une lumière où s’élargissait le champ de sa vision, et il put contempler jusque dans le détail les événements à venir. Quand cette lumière et cette suavité se retirèrent de lui, il se sentit un esprit entièrement neuf et paraissait un tout autre homme.

27.- Il revint tout joyeux vers ses frères et leur dit : « Mes bien-aimés, soyez pleins de courage et d’allégresse dans le Seigneur, et ne vous affligez ni de votre petit nombre ni de votre simplicité ou de la mienne : car le Seigneur m’a montré en vérité qu’il fera de nous une foule immense qui se multipliera et s’étendra jusqu’aux extrémités du monde. Votre intérêt m’oblige à vous raconter une vision que je devrais plutôt garder secrète si la charité ne me faisait un devoir de parler. J’ai vu une grande foule venant à nous pour vivre de notre vie sous notre habit, avec la volonté de se plier à la règle de notre bienheureux Ordre , et j’ai même encore dans les oreilles le bruit de leurs pas : ils allaient et venaient conformément aux ordres reçus de la sainte obéissance. Comme en un carrefour, j’ai vu aboutir en ces lieux des avenues venant de tous pays, couvertes de leur multitude. De France, d’Espagne, d’Allemagne et d’Angleterre on accourt ; une foule aux multiples dialectes hâte le pas vers nous. »

Ce discours emplit les frères d’une joie réconfortante à cause de la grâce que le Seigneur Dieu avait accordée à son saint et parce que, passionnés du progrès d’autrui, ils souhaitaient voir chaque jour augmenter leur nombre, pour accomplir tous ensemble leur salut .

28.- Et le saint continua : « Frères, pour que nous rendions grâces au Seigneur notre Dieu avec fidélité et dévotion pour tous ses bienfaits, et pour que vous sachiez la conduite à tenir avec les frères actuels et futurs, comprenez bien ce déroulement des événements à venir. Nous allons commencer par cueillir quelques fruits doux et exquis ; d’autres s’offriront ensuite, moins doux et moins suaves ; d’autres enfin viendront, amers et immangeables, car malgré leur parfum et leur belle apparence, ils seront tellement acides que personne n’en pourra manger. Il reste vrai que le Seigneur, comme je vous l’ai dit, fera de nous une grande nation ; mais au dénouement tout se passera comme lorsqu’un pêcheur jette ses filets dans la mer ou dans un lac et capture une grande quantité de poissons : il embarque le tout, mais, peu soucieux de les transporter tous parce qu’ils sont trop nombreux, il choisit et garde dans ses viviers les plus gros dont il est amateur ; les autres, il les lance par-dessus bord . »

Celui qui considère les événements d’une âme sincère voit avec évidence combien toutes ces prédictions du saint sont éclatantes de vérité et comment leur réalisation nous en donne la clé. Voilà comment l’esprit de prophétie reposait sur saint François .

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