LEGENDA MINOR chapitre 4

  1. SON AMOUR DE LA PRIÈRE ET SON ESPRIT DE PROPHÉTIE
  1. François, le serviteur du Christ, avait douloureusement conscience que son corps, pourtant rendu par son amour du Christ inaccessible à toute passion terrestre, le contraignait à cheminer en étranger loin du Seigneur[1] ; il s’efforçait donc de maintenir toujours au moins son esprit en présence du Seigneur, par une prière ininterrompue[2] pour n’être point sans réconfort du Bien-Aimé. Qu’il marchât ou s’arrêtât, en voyage ou au couvent, au travail comme au repos, il s’adonnait à la prière avec toutes les puissances de son âme, au point qu’il paraissait lui avoir voué son cœur et son corps, toute son activité et tout son temps. Sa ferveur extatique l’entraînait souvent si haut que, ravi hors de lui-même, il ressentait alors ce qu’un homme ne peut ressentir, et perdait conscience de tout ce qui se passait autour de lui.
  1. Pour accueillir dans une plus grande paix les visites de l’Esprit et de ses consolations, il gagnait, pour y passer la nuit en prière, des lieux déserts ou des églises abandonnées. Il eut à y subir fréquemment les horribles assauts des démons qui, luttant contre lui corps à corps, tâchaient de le détourner de son application à l’oraison ; mais la puissance infatigable de ses prières ferventes les mettait en fuite. Une fois seul et apaisé, l’homme de Dieu faisait retentir les bois de ses gémissements, arrosait la terre de ses larmes, se frappait la poitrine, et comme s’il se sentait caché bien à l’abri dans la chambre la plus secrète du Palais, il parlait au Seigneur, répondant au Juge, suppliant le Père, jouant avec l’Epoux, s’entretenant avec l’Ami. C’est là qu’on le surprit, la nuit, priant les bras en croix, soulevé de terre et environné d’une nuée lumineuse : cette clarté rayonnante et cette lévitation de son corps témoignaient bien de l’admirable lumière qui éclairait son âme, et des hauteurs où planait son esprit.
  1. La puissance surnaturelle de telles extases lui donnait accès aux mystères et au secrets de la Sagesse[3], de Dieu ; nous en avons des témoignages certains, bien qu’il n’en ait jamais fait état en public, sauf lorsque son désir de sauver ses frères l’y poussait ou s’il en recevait l’ordre par une révélation d’en haut. Par son application constante à la prière et sa pratique des vertus, l’homme de Dieu était parvenu à une telle limpidité d’âme que, sans avoir acquis par les démarches de l’érudition humaine la connaissance des saints Livres, il pénétrait pourtant avec une étonnante acuité jusqu’au plus profond des Ecritures[4] d. L’esprit nombreux et varié des prophètes vint habiter en lui avec toute la plénitude et la diversité de sa grâce : l’homme de Dieu, à distance, pouvait faire sentir sa présence il était au courant de ce qui se déroulait très loin de lui il perçait à jour les secrets des cœurs et prédisait l’avenir. De tout cela nous possédons de nombreux témoignages très clairs : en voici quelques-uns.
  1. Un jour, au chapitre provincial d’Arles, le célèbre et saint prédicateur Antoine, associé maintenant à la gloire des confesseurs du Christ, prêchait aux frères, avec son éloquence si douce et agréable, sur le titre de la croix : Jésus de Nazareth, roi des Juifs[5]. Et voilà que François, qui pourtant était à plus de cent lieues, apparut à la porte du chapitre, soulevé de terre, les bras en croix et adressant aux frères sa bénédiction. Cette apparition emplit l’âme des frères d’une vive consolation : preuve certaine, ils en étaient intimement convaincus, que la vision merveilleuse était due à la puissance du ciel. Le miracle ne s’était pas produit à l’insu de notre bienheureux Père, ce qui montre clairement combien son esprit était tout pénétré de la lumière de cette Sagesse éternelle : de tout ce qui se meut, elle est ce qu’il y a de plus rapide, elle pénètre partout à cause de sa pureté, elle se répand dans les âmes des saints dont elle fait des amis de Dieu et des prophètes[6].
  1. A Sainte-Marie de la Portioncule, les frères tenaient chapitre. L’un d’eux, se couvrant d’une excuse comme d’un manteau, se rebellait contre l’obéissance. Le saint qui, à ce moment, priait dans sa cellule, intercesseur et médiateur[7] entre ses frères et Dieu, appela l’un d’eux et lui dit : « Frère, j’ai vu le diable juché sur les épaules de ce frère désobéissant et lui tenant le cou étroitement serré ; monté par un tel cavalier, il secoue le mors de l’obéissance et ne suit plus que les rênes de son instinct. Va donc lui dire de soumettre sans tarder ses épaules au joug de la sainte obéissance, puisque celui qui l’incite à le faire a prié, et qu’à sa prière le démon s’est enfui tout honteux ! » Aux paroles du messager, le frère reconnut son erreur et en conçut du remords : il alla se jeter aux pieds du vicaire du saint, s reconnut coupable, demanda son pardon, accepta et accomplit sa pénitence ; par la suite, il fut toujours humble et obéissant.
  1. Pendant une période de réclusion que s’était imposée le saint au sommet de l’Alverne, l’un de ses compagnons éprouvait un grand désir de posséder quelques-unes des paroles du Seigneur écrites de sa main. En effet, il était alors en proie à une sévère tentation non de la chair mais de l’esprit, et il espérait en être délivré par ce moyen, ou du moins la supporter plus aisément. Morose, angoissé, tenu par la honte, car c’était un homme humble, timide et simple, il n’osait s’en ouvrir au Père qu’il tenait en vénération. Mais ce que l’homme n’osa dire, l’Esprit de Dieu le révéla : le saint lui demanda d’apporter de l’encre et du parchemin, écrivit de sa propre main des Louanges pour le Seigneur, comme le frère l’avait désiré, et termina par une bénédiction à son adresse, puis il lui remit gentiment ce qu’il avait écrit : à l’instant, la tentation disparut. Le document a été conservé ; il a, depuis, rendu la santé à une multitude de malades. Ainsi éclate aux yeux de tous le mérite devant Dieu du copiste dont l’écriture a gardé une telle vertu.
  1. Une autre fois, une dame noble et pieuse s’en vint trouver le saint pour lui demander d’intercéder auprès du Seigneur en faveur de son mari afin de l’amener à de meilleurs sentiments : c’était un homme très dur qui l’empêchait de servir le Christ. François, compatissant, l’écouta, et commença par l’encourager elle-même à persévérer dans le bien, puis l’assura qu’elle connaîtrait bientôt la consolation souhaitée et lui ordonna : « Tu diras à ton mari, de la part de Dieu et de la mienne, que c’est maintenant le temps de la clémence, mais que viendra bientôt celui de la justice ». Elle fit confiance aux paroles du serviteur de Dieu, et après avoir reçu sa bénédiction retourna chez elle en hâte. Son mari vint à sa rencontre : elle lui transmit le message, anxieuse de l’accomplissement de la promesse, mais sûre du résultat. Or sa phrase était à peine terminée que l’Esprit de grâce s’empara de lui[8] et transforma son cœur de pierre ; à partir de ce moment, il permit à sa pieuse épouse de servi Dieu en toute liberté, et lui-même, avec elle, se mit au service du Seigneur. Sur la proposition de sa sainte épouse, ils pratiquèrent tous deux la chasteté durant plusieurs années et s’en furent, tous deux, le même jour, rejoindre le Seigneur, elle le matin, lui le soir ; elle fut l’offrande du matin[9], et lui le sacrifice du soir[10].
  1. A Rieti, au temps où le serviteur de Dieu y était hospitalisé et soigné, on lui amena, couché sur un lit et atteint d’une grave maladie, un chanoine nommé Gédéon, homme sensuel et mondain, qui lui demanda en pleurant – et tous les assistants avec lui – de tracer sur lui le signe de la croix. Le saint lui dit : « Puisque tu n’as suivi jusqu’ici que les désirs de ta chair, sans crainte des jugements de Dieu, ce n’est pas à cause de toi mais à cause des prières ferventes de ceux qui intercèdent pour toi que je te marquerai du signe de la croix. Mais je t’assure, et tiens cela désormais pour certain, qu’il t’arrivera bien pis si tu retournes à ton vomissement[11] après avoir été guéri ! » Il traça sur lui, de la tête aux pieds, un grand signe de croix ; tous les assistants entendirent craquer les vertèbres du malade, avec le bruit du bois sec que l’on casse entre ses mains. Notre homme qui gisait perclus se releva gaillard, éclatant en louanges pour Dieu. « Je suis guéri ! » s’écriait-il… Mais au bout de quelque temps, oubliant Dieu, il livra de nouveau son corps à l’impudicité[12] ; et un soir qu’il avait été reçu à dîner chez un autre chanoine et qu’il y était resté pour la nuit, la toiture s’écroula soudain. Cet événement montre bien, à lui seul, et la sévérité de la justice de Dieu pour les ingrats, et la véracité de l’esprit de prophétie qui animait François, ainsi que sa sûreté de vue même lorsque l’avenir était aléatoire à ce point.

9.            Vers la même période, qui suivait de près son retour des pays d’outre-mer, il était venu à Celano pour y prêcher. Un chevalier l’invita à sa table en insistant beaucoup et l’y força presque malgré ses réticences. Avant de se mettre à table, le saint, comme d’habitude, pria et loua Dieu ; il se tenait debout, les yeux au ciel, l’âme ravie en Dieu. Et il vit en esprit que pour cet homme l’heure de la mort et du jugement était proche. Sa prière achevée, il tira à part son hôte généreux et lui prédit sa mort prochaine, l’exhorta à se confesser et l’encouragea de toutes ses forces au bien. L’hôte obéit aussitôt, confessa tous ses péchés au compagnon du saint, mit de l’ordre dans sa maison[13], et se prépara de son mieux à accueillir la mort. Tandis que ses convives refaisaient leurs forces, le chevalier, pourtant sain et vigoureux d’apparence, rendit l’âme, emporté par une mort soudaine comme l’avait prédit l’homme de Dieu. Mais grâce à l’esprit de prophétie de François il avait eu la possibilité de s’équiper des armes de la pénitence afin d’éviter la damnation sans fin et d’être introduit, comme le promet l’Evangile, dans les tabernacles éternels[14]

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[1] 2 Co 5 6.

[2] 1 Th 5 17.

[3] Ps 50 8

[4] Jb 28 11.

[5] Jn 19 19.

[6] Sg 7 24-27.

[7] Dt 5 5.

[7] Ac 10 44.

[9] Nb 28 8 et 23.

[10] Ps 140 2.

[11] Pr 26 11.

[12] Ep 4 19.

[13] Is 38 1.

[14] Lc 16 9.

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