VITA SECUNDA 80-81

Comment renoncer au monde

CHAPITRE 49

HISTOIRE D’UN HOMME QUI DISTRIBUA SES BIENS NON PAS AUX PAUVRES MAIS A SA FAMILLE ET QUE LE SAINT RENVOYA.

  1. A ceux qui venaient demander leur admission dans l’Ordre, le bienheureux enseignait qu’ils devaient d’abord donner au monde un « certificat de divorce[1] », c’est-à-dire faire à Dieu l’offrande de leurs biens dans les parvis extérieurs du temple avant de s’offrir eux-mêmes à l’intérieur du sanctuaire. Etaient admis exclusivement ceux qui s’étaient dépouillés de tout avoir. Il se conformait ainsi à l’Evangile[2] et empêchait le scandale qu’eût provoqué l’habitude de se réserver de l’argent[3].
  1. Un homme de la Marche d’Ancône s’en vint un jour le trouver à l’issue d’un sermon et lui demanda humblement son admission dans l’Ordre. « Si tu veux partager la vie des pauvres de Dieu, lui répondit le saint, commence par distribuer tes biens aux pauvres de ce monde. » Sur cette injonction, l’homme s’éloigna, distribua ses biens à sa famille[4], et les pauvres n’eurent rien : c’était une affection toute charnelle qui le faisait agir. Il revint et fit part de sa belle générosité au Père, qui lui répondit d’un ton railleur : « Passe ton chemin, frère mouche, car tu n’as encore quitté ni ta maison ni ta parenté[5]. En donnant tes biens à ta famille, tu as volé les pauvres[6]; tu n’es pas digne de devenir l’un des saints de la pauvreté. Tu as débuté par le charnel : pour un édifice spirituel, c’est un fondement qui ne vaut rien ! » Et cet homme charnel de rentrer chez lui, de récupérer les biens qu’il n’avait pas voulu donner aux pauvres et d’oublier aussi vite ses désirs de perfection.

Cette pitoyable comédie de détachement des richesses en abuse aujourd’hui beaucoup ; ils veulent devenir des saints et commencent leur carrière comme des mondains. En effet on ne se consacre pas à Dieu pour enrichir sa famille, mais pour expier ses péchés et acquérir la vie éternelle au prix d’une activité généreuse.

« Lorsque les frères sont dans le besoin, disait encore le Père, il faut recourir aux étrangers plutôt qu’aux postulants, d’abord pour l’exemple, et aussi pour éviter toute apparence de chantage ».

Table des chapitres

 

[1] Cf. Mt 5 31.

[2] Mt 19 21, reproduit au début de la 1è Règle, ch. 1 : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres.

[3] Loculi. Cf. Jn 12 6 ; Adm 4 3.

[4] Adm 7 4.

[5] Gn 12 1 ; Ac 7 3.

[6] Ce qui prouve que la famille du postulant ne devait pas souffrir matériellement de son départ. Saint François, qui donna l’unique Nouveau Testament de l’Ordre à une pauvre femme, maman de plusieurs Frères Mineurs (2 C 91 ; LP 51) n’aurait pas voulu accabler de pauvres gens sous prétexte de plaire à Dieu.

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