VITA SECUNDA 7

CHAPITRE 3

 

COMMENT UNE TROUPE DE JEUNES GENS L’ÉLUT ROI POUR UN BANQUET. LE CHANGEMENT OPÉRÉ EN LUI.

 

  1. Alors commença en lui une transformation qui l’amènerait jusqu’à l’état d’homme parfait[1] ; on le vit changer du tout au tout. De retour chez lui, il avait retrouvé la troupe des fils de Babylone qui l’entraînaient, même contre son gré, dans une autre direction que celle de son choix. Toute une bande de jeunes gens d’Assise, en effet, s’en vint chercher son ancien maître de frivolité pour l’inviter à l’un de ces banquets d’amis où l’on sacrifie toujours à l’indécence et à la bouffonnerie. Ils le choisirent pour roi, car ils avaient bien souvent bénéficié de ses largesses, et ils étaient sûrs qu’il prendrait à sa charge tous les frais. Pour s’emplir le ventre, ils se rangent sous son autorité ; pour pouvoir se rassasier, ils se prêtent à ses volontés. Afin de ne pas être accusé d’avarice, François ne refusa point la dignité qui lui était offerte ; ses pieuses réflexions ne lui avaient pas fait oublier la courtoisie. Il commanda un banquet somptueux et fit servir en abondance les plats les meilleurs ; repus à en vomir, ils s’en allèrent ensuite souiller les places de la ville de leurs chansons d’ivrognes. François les suivait, tenant en main le sceptre de roi de la fête.

Mais il se laissa peu à peu distancer : son âme était devenue sourde à toutes ces voix, et dans son coeur il chantait les louanges du Seigneur. La douceur divine l’inondait, si puissante, à son propre témoignage, qu’il en demeurait incapable de dire un mot, de faire un pas. Son âme était emportée d’un tel élan vers les réalités invisibles qu’il méprisait tout le terrestre comme frivole et sans valeur.

Merveilleuse condescendance du Christ qui récompense les plus petits efforts par les plus grands bienfaits, qui protège et fait grandir, malgré le déluge des grandes eaux, tous ceux qui sont à lui ! Le Christ en effet a nourri les foules de pain et de poisson[2], il n’a pas écarté les pécheurs de sa table[3], mais quand ils vinrent le chercher pour le faire roi, il prit la fuite et s’en alla prier sur la montagne[4]. Tels étaient les mystères de Dieu, mais François les avait compris ; bien qu’ignorant, il était arrivé à la science parfaite.

[1] Ep 4 13.

[2] Lc 9 12 ; Jn 6 1.

[3] Lc 7 36.

[4] Jn 6 15.

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