Vita prima n°119 à 126

Deuxième partie :

TROISIEME PARTIE – La canonisation et les miracles de notre Bienheureux Père François.

119.- Notre glorieux Père François, vingt ans après sa conversion, rendit son âme au ciel, et sa mort fut plus belle encore que ses débuts, pourtant si beaux ; il a reçu la couronne de gloire, il a pris place au milieu des pierres de feu près du trône de Dieu ; il se fait un devoir de travailler là-haut pour ceux qu’il a laissés sur terre, et son intervention est efficace : que pourrait-on refuser à quelqu’un dont les membres reproduisent les stigmates sacrés du Fils égal au Père, assis à la droite du Dieu de majesté, rayonnement de sa gloire, expression de son être, expiation pour nos péchés ? Comment ne pas exaucer un homme configuré à la mort du Christ Jésus pour avoir participé à ses souffrances, un homme qui porte sur lui les blessures sacrées des pieds, des mains et du côté ?Pour le monde entier, c’est un sujet de joie, pour tous les hommes un moyen de se sauver. Le monde, naguère, pleurait sa disparition car il se voyait déjà plongé dans les ténèbres après le coucher de ce soleil ; mais la lumière semble s’être levée de nouveau ; le monde, éclairé comme en plein midi par son éclat plus radieux qu’auparavant, comprend qu’il est sorti de ses ténèbres . Il s’agit bien maintenant de le pleurer : chaque jour, en tout lieu, on récolte à pleines gerbes, dans un revival de joie, les vertus qu’il a semées. Nous en avons le témoignage de la bouche même de ceux qui, venus du levant et du couchant, du midi et du septentrion, furent les bénéficiaires de ses interventions. Tant qu’il vécut, il n’eut d’affection que pour les choses d’En-Haut, refusa toute propriété en ce monde afin de posséder en plénitude le Souverain Bien , il a pouvoir maintenant sur l’univers entier, lui qui n’en voulait pas un lambeau ; en échange du temps, il a reçu l’éternité. N’importe qui peut obtenir son aide, et n’importe où : lui qui aimait tant l’unité ignore la néfaste partialité.

120.- Quand il vivait parmi les pécheurs, il parcourait le monde pour annoncer l’Evangile ; maintenant qu’il règne avec les anges, il vole plus rapide que la pensée pour distribuer à tous les peuples ses bienfaits, en qualité de messager du Grand Roi. Si tous les peuples l’honorent, le vénèrent, lui rendent gloire et louange, c’est que tous ont part à ce bienfait commun ; nul ne serait capable de dénombrer ou d’apprécier les miracles que le Seigneur daigna, par lui, accomplir en tous lieux.

La France, à elle seule, fut l’objet de combien de miracles ! La France, dont le roi, la reine et tous les seigneurs sont tellement empressés à baiser et vénérer le traversin dont François se servit durant sa maladie  ; la France où les savants du monde et les hommes les plus cultivés (Paris en produit à foison plus que tout autre lieu de l’univers !) témoignent humblement leur vénération à un ignorant amoureux de simplicité et d’authenticité : François, qu’ils admirent et prient avec dévotion. Et ce nom de François lui allait si bien, puisqu’il avait plus que tout autre le cœur franc et noble . Ceux qui ont connu sa grande âme savent bien comme il fut toujours partisan de la liberté pour lui et pour les autres , intrépide et courageux en toute circonstance, particulièrement généreux dans le refus des biens de ce monde.

Quant aux autres pays du monde, sa corde y fait disparaître les maladies ; on invoque son nom et l’on est bien souvent délivré de ses maux.

121.- Sur sa tombe s’accomplissent sans interruption de  miracles ; il intercède sans relâche, et les corps aussi bien que les âmes y obtiennent des grâces qui concourent à sa gloire : des aveugles recouvrent la vue, des sourds entendent, des boiteux marchent, des muets parlent, des paralytiques dansent, des lépreux sont guéris ; l’hydropique maigrit, tous ceux qui souffrent d’une infirmité quelconque retrouvent la santé ; mort, il guérit des corps vivants comme il avait ressuscité, vivant, des âmes mortes.

Le Pontife romain, mis au courant, comprit et tressaillit de joie : sous son règne, des miracles traditionnels à signification nouvelle venaient rajeunir l’Eglise de Dieu, et cela grâce au fils qu’il avait porté dans son sein, réchauffé dans ses bras, nourri du lait de sa parole, fortifié par l’aliment du salut. La renommée en vint aussi aux oreilles des vénérables cardinaux et ils se réjouissaient pour l’Eglise, félicitaient le Pape et glorifiaient le Sauveur, dont la sagesse, la grâce et la bonté savent choisir les fous, les méprisés du monde, pour s’attirer les grands. Le monde entier enfin, tous les royaumes de la chrétienté en reçurent la nouvelle, débordèrent de joie et se laissèrent envahir d’une bienheureuse consolation.

122.- Mais les événements tournent soudain ; une nouvelle insurrection bouleverse le monde, rallume les haines ; une guerre intérieure déchire l’Eglise. Peuple frondeur et insolent, les Romains se ruent sur leurs voisins comme ils en ont l’habitude et poussent l’audace jusqu’à porter les mains sur les choses de Dieu . Le Pape tenta d’étouffer le mal, d’empêcher les cruautés, de calmer l’émeute et de protéger comme d’un rempart l’Eglise du Christ. Mais le danger augmentait, on allait de désastre en désastre ; en d’autres régions aussi, les pécheurs se dressaient contre Dieu… Que faire ? Après mûr examen de la situation, le Pontife, prévoyant ce qui allait se passer, abandonna la ville aux insurgés pour éviter que l’émeute se propageât dans le monde. Il se réfugia d’abord à Rieti, où on l’accueillit avec tous les honneurs qui lui étaient dus ; puis à Spolète, qui lui témoigna beaucoup d’égards. Il expédia durant quelques jours les affaires de l’Eglise, puis, en compagnie des cardinaux, s’en fut rendre une aimable visite aux servantes du Christ mortes et ensevelies au monde . Leur vie sainte, leur très haute pauvreté arrachèrent des larmes au Pontife et à sa suite, qui n’en conçurent que plus de mépris pour le monde, plus d’attachement aux exigences de leur état .

Touchante humilité : le prince de l’univers, successeur du prince des Apôtres, visite de pauvres femmes, obscures et humbles prisonnières ! Humilité bien digne d’un si grand esprit, humilité pourtant sans précédent, inconnue aux siècles passés.

123.- Mais le voilà qui, sans tarder, court vers Assise, où l’on garde pour lui le précieux dépôt capable d’éloigner les souffrances et les malheurs qui menacent. Il arrive, et tout le pays exulte, la ville est en liesse, la foule manifeste et les flambeaux ajoutent encore à l’éclat du jour ; tout le monde vient pour le voir et lui faire cortège ; les frères sortent à sa rencontre et chantent d’agréables cantiques au Christ du Seigneur . La première démarche du Pape, arrivé au couvent, fut pour aller saluer avec empressement et respect le tombeau de saint François. On le vit soupirer, se frapper la poitrine et incliner, en grande dévotion, sa tête vénérable.

On procède alors à une solennelle enquête en vue de la canonisation ; l’assemblée des cardinaux siège fréquemment. De partout on voit affluer des gens qui furent, grâce au bienheureux, délivrés de leurs maux. On met ainsi en lumière une immense série de miracles ; on vérifie, on entend les témoins, on approuve, on consigne les guérisons reconnues comme authentiques. Entre-temps, les affaires réclament le Pontife à Pérouse , puis il revient à Assise pour s’occuper de cette cause si importante. De nouveau à Pérouse, finalement, il tient dans ses appartements une assemblée de cardinaux ; tous sont unanimes ; on donne lecture des miracles et ils décernent à la vie de notre bienheureux Père les plus grands honneurs et les plus grandes louanges.

124.- « La très grande sainteté de ce très grand saint, disent-ils, n’a pas besoin de miracles pour être prouvée : nous l’avons vue de nos yeux, touchée de nos mains, expérimentée selon toute les exigences de la vérité ! » Et tous de se réjouir et de pleurer à la fois, de ces larmes qui méritent à ceux qui pleurent une plénitude de bénédictions. Ils fixent la date du jour béni qui remplira de joie le monde entier. Et ce jour enfin se lève, jour désormais vénérable pour tous les siècles , jour d’allégresse pour la terre et pour le ciel. Evêques, abbés, prélats viennent des provinces les plus lointaines ; comtes et seigneurs, un roi même composaient une nombreuse et noble assistance ; ils escortent le seigneur de toute la terre et font avec lui leur entrée triomphale dans la cité d’Assise. On avait fait au couvent quelques préparatifs pour une telle réception, et la foule des cardinaux, des évêques et des abbés se rangea autour du Pape ; vinrent ensuite les prêtres et les clercs, les religieux, les religieuses et un immense déploiement de foule. Il en venait de toutes parts et de tout âge, des petits et des grands, des hommes libres et des serfs.

125.- Le Souverain Pontife présidait, époux de l’Eglise du Christ, entouré de la multitude variée de ses fils ; il porte sur la tête la couronne de gloire indiquant à tous qu’il est le saint du Seigneur  ; il est revêtu des ornements pontificaux brodés d’or et rehaussés de pierreries ; debout dans la magnificence de sa gloire, fleuri de diamants et de camées, il est le point de mire de tous les regards. Cardinaux et évêques l’entourent, dont les chapes d’un blanc de neige donnent une vision des splendeurs du ciel et préfigurent la joie des glorifiés. La foule attend l’heureuse nouvelle, la proclamation qui déchaînera sa joie, le discours qu’il lui sera si doux d’entendre, l’homélie qui sera pour tous une perpétuelle bénédiction.

Le Pape Grégoire prêcha donc à tout le peuple et d’abord entonna les louanges de Dieu, d’une voix sonore et avec une tendre piété ; puis il fit un éloge grandiose de notre Père François , à l’évocation de sa vie si pure, il fondit en larmes. Son sermon commençait ainsi : « Comme l’étoile du matin qui scintille à travers le nuage, comme la lune aux jours de son plein, comme un soleil éclatant, voilà comment il a resplendi dans le temple de Dieu  » et il montra comment cette parole s’appliquait en tous sens au bienheureux. Ensuite un des sous-diacres du Pape, nommé Octavien , donna lecture publique des miracles du saint. Messire Raynier, cardinal diacre, d’une intelligence et d’une piété remarquables , les expliqua à la lumière des Saintes Ecritures ; il était visiblement très ému. Le Pasteur de l’Eglise, en l’écoutant, poussait de longs soupirs et parfois laissait couler ses larmes en sanglotant. Les autres prélats, le peuple entier pleuraient de même ; et tous attendaient avec impatience le grand moment.

126. Alors le Pape se leva ; il brandit ses deux bras vers le ciel et cria : « Pour la louange et la gloire du Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, de la glorieuse Vierge Marie, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et pour l’honneur de la glorieuse Eglise romaine, vénérons sur terre le bienheureux Père François auquel le Seigneur a donné la gloire dans le ciel ; sur avis favorable de nos frères et des autres prélats, nous décrétons son inscription au catalogue des saints et la célébration de sa fête au jour anniversaire de sa mort ! »

A ces mots, les cardinaux entonnèrent à pleine voix le Te Deum, et le Pape avec eux. De la foule une immense clameur monta vers Dieu pour le louer. On chantait des cantiques nouveaux  ; on laissait la voix suivre les inspirations de l’âme en fête. Il y avait aussi des instruments , des motets et des chants en contrepoint . On était envahi de doux parfums  ; le charme de la musique était prenant ; la journée était radieuse et la lumière chatoyait des plus splendides couleurs ; le feuillage des oliviers et des autres arbres était verdoyant, l’éclat de la fête illuminait toits les visages, la paix et la joie inondaient tous les cœurs. Finalement, le bienheureux Pape Grégoire quitta son trône et pénétra dans le sanctuaire pour y prier et offrir le Sacrifice. Il baisa le sépulcre contenant le corps saint et consacré à Dieu, pria longtemps, puis célébra les saints mystères. Debout autour de lui, toute une couronne de frères louait, adorait et bénissait le Dieu tout-puissant qui opère de grandes choses sur toute la surface de la terre. La foule chanta les louanges de Dieu et les mérites de saint François, pour l’honneur de la Très-Haute Trinité. Amen !

Tout ceci eut lieu à Assise, le 16 juillet, la seconde année du pontificat du seigneur Pape Grégoire IX.

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