Vita prima Chapitre 10 n° 116-118

Deuxième partie :

CHAPITRE 10

DEUIL DES MONIALES DE SAINT-DAMIEN. GLORIEUSE SÉPULTURE DE FRANÇOIS AU CHANT DES HYMNES DE LOUANGE.

116.- Aux frères et aux fils du bienheureux François se joignit la foule accourue des cités voisines, heureuse de participer à de telles solennités. Ils consacrèrent toute cette nuit à chanter les louanges de Dieu. Charme de la psalmodie, clarté des flambeaux : on aurait cru plutôt une veillée menée par les Anges. Le matin, on vit arriver tout Assise avec le clergé au complet ; on emporta le corps et on lui fit un cortège d’honneur jusqu’à la ville, au milieu des hymnes, des cantiques et des sonneries de trompettes. Les gens portaient des palmes d’oliviers ou des branches d’arbres pour suivre la procession, et, cierges en main, lançaient bien haut leurs chants de louange. Les fils portant leur Père, le troupeau suivant son Pasteur parti à la rencontre du Pasteur universel, on arriva au lieu où il avait lui-même fondé l’Ordre des Pauvres Dames. On le déposa dans l’église Saint-Damien où demeuraient ses filles par lui conquises au Seigneur ; on ouvrit la petite fenêtre par laquelle, aux jours prescrits, les servantes du Christ communiaient au sacrement du Corps du Seigneur. On ouvrit le cercueil, arche renfermant le trésor des vertus célestes où quelques hommes suffisaient à porter celui qui en avait lui-même porté tant d’autres . Et Dame Claire le nom de Claire convient si bien à une pareille sainteté – mère des autres moniales et première tige de l’Ordre, s’en vint avec toutes ses filles pour revoir le Père qui ne leur parlerait plus désormais, le Père qui partait pour ne plus revenir.

117.- Tout éplorées, elles le regardaient avec de longs soupirs et de profonds gémissements ; d’une voix brisée elles s’écriaient : « Père, qu’allons-nous devenir ? Pourquoi nous abandonnes-tu à notre triste sort et nous laisses-tu seules et désolées  ? Pourquoi ne nous as-tu pas envoyées te précéder pleines dé joie, plutôt que de nous laisser ici dans la détresse ? Comment saurons-nous désormais ce que nous devons faire, ici recluses, privées de tes visites coutumières ? Avec toi disparaît pour nous toute consolation, sans espoir d’en trouver une autre semblable, nous qui sommes ensevelies au monde ! Nous sommes pauvres de mérites non moins que de richesses matérielles ; quel autre que toi pourra nous approvisionner, ô père des pauvres, amant de la Pauvreté ? Qui nous portera secours dans nos épreuves sinon toi qui savais en supporter, en démasquer habilement d’innombrables ? Qui nous consolera dans la tribulation sinon toi, notre réconfort dans toutes celles qui nous ont trop éprouvées ? Amertume de l’absence, barbarie de la séparation, cruauté d’une mort qui tue par milliers des fils et des filles en leur enlevant leur Père, mort qui emporte trop tôt, irrévocablement, celui à qui nous devions notre ferveur ! »

Mais, comme il convenait à des Vierges, la retenue modérait leurs transports de larmes ; il n’était d’ailleurs pas décent de trop pleurer celui dont la mort avait attiré le concours d’une telle armée d’anges et provoqué une telle joie dans la cité des saints et la maison de Dieu. Ainsi partagées entre la tristesse et la joie, elles couvraient de baisers ses mains rayonnantes de tout l’éclat de perles précieuses et éblouissantes. Enfin il fallut l’emporter ; puis on referma sur elles la porte qui jamais plus ne s’ouvrira sur pareille douleur .

118.- Enfin le cortège arriva dans la ville. La joie et l’allégresse présidèrent à la sépulture et ce lieu saint devint plus saint encore pour avoir abrité un corps si saint; pour la gloire du Tout-Puissant, d’innombrables miracles continuent là de dispenser au monde la lumière que le bienheureux avait jusqu’alors rayonnée par ses enseignements et sa sainte prédication. Deo Gratias ! Amen !

Voici, Père très saint et béni, que j’ai achevé de te décerner, de façon bien insuffisante, hélas ! les louanges que tu mérites, et je me suis acquitté comme j’ai pu du récit de tes actions. En récompense, accorde au pauvre être que je suis la grâce de te suivre en ce monde assez vaillamment pour mériter avec la miséricorde de Dieu, de te rejoindre dans l’autre. Souviens-toi de tes pauvres fils dont tu étais le seul soutien et qui cherchent en vain quelque réconfort. Car tandis que tu es admis parmi les chœurs des Anges en compagnie des Apôtres, tes fils n’en restent pas moins embourbés dans la fange, enfermés dans une prison sans lumière ; ils te crient en pleurant : « Père, montre donc à Jésus-Christ, Fils de Dieu très haut, ses stigmates sacrés que tu portes ; exhibe le sceau de la croix dans tes pieds, tes mains et ton côté, pour qu’il daigne présenter lui aussi ses propres blessures au Père qui, les ayant considérées, nous témoignera toujours sa bienveillante pitié. Amen ! Fiat Fiat  ! »

Ici prend fin la deuxième partie.

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